Au total, 69 participants venant de 15 pays (19 en comptant Hawaii, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et Guam) se sont succédés, auxquels il faut ajouter les équipages des navires, les pilotes, chauffeurs, manutentionnaires et aides divers - une bonne cinquantaine de personnes -, le tout suivi par une dizaine de journalistes et une équipe de communication à Paris.

Equipes Fort-Dauphin et Nosy-Bé 11
C'est la première fois que je conduis une grande expédition qui se déroule sur trois fronts en parallèle : les sites à terre, le Nosy Bé 11, et l'Antéa. De ce fait, notre échantillonnage est particulièrement complet, depuis les lagunes et le supralittoral jusqu'aux accores du plateau continental vers 1000 mètres de profondeur : une centaine de stations à Fort-Dauphin (marées, plongées, dragages Patsa), 120 à Lavanono ; 119 dragages et chalutages profonds sur le Nosy Bé 11 ; 60 sites de plongées à partir de l'Antéa. L'ensemble de la zone que nous avions ciblée a été couverte, depuis le Banc de l'Etoile et Nosy Manitsa d'un côté, jusqu'à Manantenina de l'autre. Cependant, la mauvaise météo pendant le premier leg de l'Antéa n'aura pas permis de couvrir la côte entre le Cap Andavaka et le Cap Sainte Marie.
Cette conduite de l'expédition sur trois fronts en parallèle a également pour conséquence qu'aucun d'entre nous n'a encore une vision complète de ce qui a été échantillonné. Pour cela, il va falloir attendre l'ouverture des bidons d'échantillons, d'une part, et la compilation des photos, d'autre part. Toutefois, il est clair que le choix du "Grand Sud" malgache comme objectif de l'expédition se trouve confirmé a posteriori. Faible développement des coraux et des espèces tropicales associées aux récifs, exubérance des peuplements d'algues et de grandes Eponges, importance de l'endémisme régional, tout concourt à faire du "Grand Sud" une région biogéographiquement séparée du reste de Madagascar.
Je n'ai pas pu m'empêcher de presser les uns et les autres pour me livrer quelques chiffres, même s'ils sont encore très provisoires.

Equipe Lavanono
Chacun des 4 modules (à terre et Antéa) a livré 250 à 350 espèces d'algues, en partie les mêmes, en partie différentes d'un module à l'autre, et le total des macroalgues dépassera probablement 500 espèces pour l'ensemble de l'expédition. Les affinités avec l'Afrique du Sud / le Natal sont évidentes, avec sans doute 75% des espèces partagées avec cette région.
Côté mollusques, environ 800-900 espèces ont été échantillonnées aussi bien à Fort-Dauphin qu'à Lavanono, et des différences assez considérables sont apparues entre les deux sites : de l'ordre de 40% des espèces ne sont présentes que sur un seul site, ce qui confirme aussi a posteriri que nous avons bien fait de ne pas limiter l'expédition à un seul site. Je n'ai pas encore vu les échantillons collectés par le Nosy Bé 11 et l'Antéa, mais le nombre total d'espèces de mollusques sur la zone d'étude dépassera sans aucun doute la barre des 1500. C'est à la fois beaucoup (il y a 1030 espèces dans toute la Méditerranée) et peu (les chiffres équivalents à Panglao et Santo étaient de l'ordre de 4 à 6000 espèces), mais c'est sans doute pour les mollusques que l'endémisme est le plus remarquable : probablement de l'ordre de 25%. Parmi les suspicions de découvertes, une espèce de Tridacna intrigue ; il pourrait s'agir d'une espèce nouvelle, ce que le séquençage confirmera ou infirmera en principe facilement.
Chez les crustacés, 250 espèces de décapodes et stomatopodes ont été échantillonnés à Fort-Dauphin et environ 170 à Lavanono ; pour la seule sortie à la journée du 8 mai le Nosy Bé 11 a collecté une centaine d'espèces, pour la plupart différentes de celles récoltées dans les petits fonds par le groupe à terre. Il est plus que probable que, lorsque tous les échantillons seront poolés, le nombre total d'espèces dépassera 500. Là encore, une rapide comparaison permet de mettre ces chiffres en perspective : il y a 672 espèces de décapodes dans toutes les mers d'Europe - du Spitsberg aux Canaries -, et les chiffres de Panglao et Santo atteignaient 1100-1600 espèces.
Equipe scientifique et équipage de l’Antéa (leg 1)
Du côté des poissons, 253 espèces ont été échantillonnées à Fort-Dauphin, 160 à bord de l'Antéa, et un nombre encore indéterminé à bord du Nosy Bé 11. A Fort-Dauphin, 16% des espèces échantillonnées étaient nouvelles pour la Science (4 espèces) ou nouvelles pour Madagascar (dont plusieurs espèces réputées endémiques d'Afrique du Sud), ce qui est remarquable pour un groupe aussi étudié que les poissons. L'extrême rareté des requins a été remarquée par les plongeurs du 2ème leg de l'Antéa (ceux du premier leg n'ayant pas eu une visibilité suffisante pour pouvoir dire quoi que ce soit !).

La fin du leg à été couronnée par la remise à tous les participants du chapeau traditionnel Antandroy par Mara Edouard (Leg 2).
Tous les autres groupes du macrobenthos ont été échantillonnés avec plus ou moins d'intensité pendant au moins 2 ou 3 des 5 modules, et nous pouvons penser que les grands spongiaires, les coraux, les octocoralliaires, les bryozoaires, les échinodermes, les ascidies ont été raisonnablement couverts ; par contre, les annélides, les hydraires, les actinies, les crustacés autres que décapodes ont sans aucun doute été insuffisamment échantillonnés.
Incontestablement, l'expédition aura fait faire un grand bon en avant à la connaissance de la biodiversité marine du "Grand Sud", mais incontestablement aussi, il reste encore d'autres découvertes à faire dans la région. L'exhaustivité de l'inventaire était difficile dans un contexte d'extrême hétérogénéité spatiale des peuplements ; par exemple, la grosse étoile de mer Tromidia (peut-être nouvelle ?) n'a été revue que sur le site exact où elle avait été aperçue lors de la mission de repérage de novembre 2008, et nulle part ailleurs ! Nous avons par ailleurs tous le sentiment que la tranche de profondeurs de 1 à 10 mètres a été très mal prospectée à cause de la houle, des déferlantes et/ou de la mauvaise visibilité même les jours de beau temps. Enfin, certains organismes - en particulier les algues et les nudibranches - ont des occurrences très saisonnières, et il est également certain qu'une autre expédition, à une autre saison, donnerait d'autres résultats : l'inventaire de la biodiversité n'est jamais terminé et, même en Europe, même au Japon, même aux Etats-Unis, où la densité de chercheurs est la plus élevée au monde, on continue à découvrir des espèces inconnues. Pour autant, nous pouvons nous féliciter pour ce que nous venons d'accomplir collectivement.

Le chef de mission : Philippe Bouchet
Quel est le plan de bataille maintenant ? Certains échantillons sont déjà à Tuléar, ou en route vers Grahamstown, mais le gros du matériel quittera Fort-Dauphin dans les prochaines semaines dès que les formalités douanières et administratives auront été satisfaites. Le container n'arrivera probablement pas en France avant le mois de septembre, après quoi le deuxième niveau de tri (à la famille, le plus souvent) et la répartition vers les spécialistes pourront commencer. Je veillerai à ce que les participants malgaches de l'IH.SM et du WCS soient impliqués aussi dans cette phase de l'expédition. Il est clair que l'étude taxonomique des échantillons et la publication des résultats dans les journaux scientifiques s'étaleront sur de nombreuses années. Sans attendre ces publications parcellaires et un hypothétique bilan à long terme, j'envisage deux étapes à court et moyen terme :
- d'une part, la réalisation d'une série de posters sur la faune et la flore marines du Grand Sud, avec une échéance à fin 2010 ;
- d'autre part, la publication d'un ouvrage collectif dans la collection "Patrimoines Naturels", qui présentera sous forme synthétique et très illustrée nos observations et impressions d'ensemble - à la fois en ce qui concerne les peuplements et milieux, et les espèces.
Encore une fois, j'adresse à tous mes remerciements pour le travail accompli avec passion, compétence et camaraderie: nous y étions et nous l'avons fait ! »
Philippe.