Madagascar 2010 › Mission à Madagascar

dimanche, juin 20 2010

Le bilan de l’expédition par Philippe Bouchet, chef de mission.

« J'écris ce message de Fort-Dauphin (où... il pleut, bien sûr !). Le deuxième leg de l'Antéa s'est achevé avant-hier, vendredi 18, ce qui clôt les opérations de terrain de l'expédition ATIMO VATAE. Deux mois se sont écoulés depuis les premières arrivées à Fort-Dauphin, et je veux remercier ici tous les participants et tous nos collaborateurs, prestataires et soutiens de toute sorte à terre et en mer pour avoir permis le succès de l'expédition. Malgré une météo pas toujours clémente, nous pouvons être collectivement satisfaits de la qualité et de la quantité des observations et échantillonnages : MISSION ACCOMPLIE !


Au total, 69 participants venant de 15 pays (19 en comptant Hawaii, la Réunion, la Nouvelle-Calédonie et Guam) se sont succédés, auxquels il faut ajouter les équipages des navires, les pilotes, chauffeurs, manutentionnaires et aides divers - une bonne cinquantaine de personnes -, le tout suivi par une dizaine de journalistes et une équipe de communication à Paris.


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Equipes Fort-Dauphin et Nosy-Bé 11



C'est la première fois que je conduis une grande expédition qui se déroule sur trois fronts en parallèle : les sites à terre, le Nosy Bé 11, et l'Antéa. De ce fait, notre échantillonnage est particulièrement complet, depuis les lagunes et le supralittoral jusqu'aux accores du plateau continental vers 1000 mètres de profondeur : une centaine de stations à Fort-Dauphin (marées, plongées, dragages Patsa), 120 à Lavanono ; 119 dragages et chalutages profonds sur le Nosy Bé 11 ; 60 sites de plongées à partir de l'Antéa. L'ensemble de la zone que nous avions ciblée a été couverte, depuis le Banc de l'Etoile et Nosy Manitsa d'un côté, jusqu'à Manantenina de l'autre. Cependant, la mauvaise météo pendant le premier leg de l'Antéa n'aura pas permis de couvrir la côte entre le Cap Andavaka et le Cap Sainte Marie.


Cette conduite de l'expédition sur trois fronts en parallèle a également pour conséquence qu'aucun d'entre nous n'a encore une vision complète de ce qui a été échantillonné. Pour cela, il va falloir attendre l'ouverture des bidons d'échantillons, d'une part, et la compilation des photos, d'autre part. Toutefois, il est clair que le choix du "Grand Sud" malgache comme objectif de l'expédition se trouve confirmé a posteriori. Faible développement des coraux et des espèces tropicales associées aux récifs, exubérance des peuplements d'algues et de grandes Eponges, importance de l'endémisme régional, tout concourt à faire du "Grand Sud" une région biogéographiquement séparée du reste de Madagascar.


Je n'ai pas pu m'empêcher de presser les uns et les autres pour me livrer quelques chiffres, même s'ils sont encore très provisoires.


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Equipe Lavanono



Chacun des 4 modules (à terre et Antéa) a livré 250 à 350 espèces d'algues, en partie les mêmes, en partie différentes d'un module à l'autre, et le total des macroalgues dépassera probablement 500 espèces pour l'ensemble de l'expédition. Les affinités avec l'Afrique du Sud / le Natal sont évidentes, avec sans doute 75% des espèces partagées avec cette région.


Côté mollusques, environ 800-900 espèces ont été échantillonnées aussi bien à Fort-Dauphin qu'à Lavanono, et des différences assez considérables sont apparues entre les deux sites : de l'ordre de 40% des espèces ne sont présentes que sur un seul site, ce qui confirme aussi a posteriri que nous avons bien fait de ne pas limiter l'expédition à un seul site. Je n'ai pas encore vu les échantillons collectés par le Nosy Bé 11 et l'Antéa, mais le nombre total d'espèces de mollusques sur la zone d'étude dépassera sans aucun doute la barre des 1500. C'est à la fois beaucoup (il y a 1030 espèces dans toute la Méditerranée) et peu (les chiffres équivalents à Panglao et Santo étaient de l'ordre de 4 à 6000 espèces), mais c'est sans doute pour les mollusques que l'endémisme est le plus remarquable : probablement de l'ordre de 25%. Parmi les suspicions de découvertes, une espèce de Tridacna intrigue ; il pourrait s'agir d'une espèce nouvelle, ce que le séquençage confirmera ou infirmera en principe facilement.


Chez les crustacés, 250 espèces de décapodes et stomatopodes ont été échantillonnés à Fort-Dauphin et environ 170 à Lavanono ; pour la seule sortie à la journée du 8 mai le Nosy Bé 11 a collecté une centaine d'espèces, pour la plupart différentes de celles récoltées dans les petits fonds par le groupe à terre. Il est plus que probable que, lorsque tous les échantillons seront poolés, le nombre total d'espèces dépassera 500. Là encore, une rapide comparaison permet de mettre ces chiffres en perspective : il y a 672 espèces de décapodes dans toutes les mers d'Europe - du Spitsberg aux Canaries -, et les chiffres de Panglao et Santo atteignaient 1100-1600 espèces.


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Equipe scientifique et équipage de l’Antéa (leg 1)



Du côté des poissons, 253 espèces ont été échantillonnées à Fort-Dauphin, 160 à bord de l'Antéa, et un nombre encore indéterminé à bord du Nosy Bé 11. A Fort-Dauphin, 16% des espèces échantillonnées étaient nouvelles pour la Science (4 espèces) ou nouvelles pour Madagascar (dont plusieurs espèces réputées endémiques d'Afrique du Sud), ce qui est remarquable pour un groupe aussi étudié que les poissons. L'extrême rareté des requins a été remarquée par les plongeurs du 2ème leg de l'Antéa (ceux du premier leg n'ayant pas eu une visibilité suffisante pour pouvoir dire quoi que ce soit !).


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La fin du leg à été couronnée par la remise à tous les participants du chapeau traditionnel Antandroy par Mara Edouard (Leg 2).





Tous les autres groupes du macrobenthos ont été échantillonnés avec plus ou moins d'intensité pendant au moins 2 ou 3 des 5 modules, et nous pouvons penser que les grands spongiaires, les coraux, les octocoralliaires, les bryozoaires, les échinodermes, les ascidies ont été raisonnablement couverts ; par contre, les annélides, les hydraires, les actinies, les crustacés autres que décapodes ont sans aucun doute été insuffisamment échantillonnés.


Incontestablement, l'expédition aura fait faire un grand bon en avant à la connaissance de la biodiversité marine du "Grand Sud", mais incontestablement aussi, il reste encore d'autres découvertes à faire dans la région. L'exhaustivité de l'inventaire était difficile dans un contexte d'extrême hétérogénéité spatiale des peuplements ; par exemple, la grosse étoile de mer Tromidia (peut-être nouvelle ?) n'a été revue que sur le site exact où elle avait été aperçue lors de la mission de repérage de novembre 2008, et nulle part ailleurs ! Nous avons par ailleurs tous le sentiment que la tranche de profondeurs de 1 à 10 mètres a été très mal prospectée à cause de la houle, des déferlantes et/ou de la mauvaise visibilité même les jours de beau temps. Enfin, certains organismes - en particulier les algues et les nudibranches - ont des occurrences très saisonnières, et il est également certain qu'une autre expédition, à une autre saison, donnerait d'autres résultats : l'inventaire de la biodiversité n'est jamais terminé et, même en Europe, même au Japon, même aux Etats-Unis, où la densité de chercheurs est la plus élevée au monde, on continue à découvrir des espèces inconnues. Pour autant, nous pouvons nous féliciter pour ce que nous venons d'accomplir collectivement.


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Le chef de mission : Philippe Bouchet



Quel est le plan de bataille maintenant ? Certains échantillons sont déjà à Tuléar, ou en route vers Grahamstown, mais le gros du matériel quittera Fort-Dauphin dans les prochaines semaines dès que les formalités douanières et administratives auront été satisfaites. Le container n'arrivera probablement pas en France avant le mois de septembre, après quoi le deuxième niveau de tri (à la famille, le plus souvent) et la répartition vers les spécialistes pourront commencer. Je veillerai à ce que les participants malgaches de l'IH.SM et du WCS soient impliqués aussi dans cette phase de l'expédition. Il est clair que l'étude taxonomique des échantillons et la publication des résultats dans les journaux scientifiques s'étaleront sur de nombreuses années. Sans attendre ces publications parcellaires et un hypothétique bilan à long terme, j'envisage deux étapes à court et moyen terme :

- d'une part, la réalisation d'une série de posters sur la faune et la flore marines du Grand Sud, avec une échéance à fin 2010 ;

- d'autre part, la publication d'un ouvrage collectif dans la collection "Patrimoines Naturels", qui présentera sous forme synthétique et très illustrée nos observations et impressions d'ensemble - à la fois en ce qui concerne les peuplements et milieux, et les espèces.


Encore une fois, j'adresse à tous mes remerciements pour le travail accompli avec passion, compétence et camaraderie: nous y étions et nous l'avons fait ! »


Philippe.

jeudi, juin 10 2010

Cap Sainte-Marie et visite guidée du labo

L’équipe marée s’est rendue ce matin au Cap Sainte-Marie, le point le plus méridional de Madagascar. On y trouve une réserve spéciale, créée afin de protéger entre autres 14 espèces d’oiseaux et 2 espèces de tortues terrestres (la tortue radiée et la tortue araignée). Les plongeurs y avaient repéré depuis la mer de nombreux platiers, et le seul accès possible était par la réserve. L’accueil réservé aux scientifiques fut très chaleureux.


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Vue sur Cap Sainte-Marie (crédit photo : Laurent Charles)



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(crédit photo : Laurent Charles)



Comme les plongeurs la veille, les récolteurs ont eu la chance d’observer au large une baleine à bosse. Cette espèce quitte en été les mers froides où elle se nourrit, pour s’accoupler et mettre bas dans des eaux suffisamment chaudes pour les baleineaux. Elles commencent seulement à arriver sur les côtes de Madagascar. Leur migration reste mal connue, mais les scientifiques pensent que cette colonie provient du large de l’Antarctique, à plusieurs milliers de kilomètres au sud.


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Baleine à bosse (crédit photo : Laurent Charles)



Cet après-midi à 15h, une visite guidée du laboratoire a été organisée pour les habitants de Lavanono. Une quarantaine d’hommes, femmes et enfants ont été curieux d’observer le travail des scientifiques. Paubert Mahatante, et Berthin Rakotonirina (participants venant de l’Institut Halieutique et des Sciences Marines de l’Université de Tuléar) ont été leurs guides. Ils présentent successivement la station de gonflage des bouteilles, les dragues, quelques spécimens récoltés, le labo photo de Chia-Wei Lin, les algues de Bruno de Reviers, les tables de tri et leurs loupes binoculaires, le barcoding, et enfin la station de tamisage.



Berthin et Bruno présentent la méthode de séchage des algues (crédit photo : Eléonore Vandel)




Observation à la loupe binoculaire (crédit photo : Eléonore Vandel)



Paubert, étudiant à l’IH.SM, est originaire de la région Androy où nous nous trouvons. Il en profite pour expliquer aux villageois l’importance de la scolarisation des enfants, et leur conseille de vendre des zébus pour pouvoir payer leurs études. Ici les zébus sont signe de richesse : plus une famille a de zébus, plus elle est riche. C’est pourquoi ils ne sont pas vendus.



Paubert explique comment utiliser la drague (crédit photo : Eléonore Vandel)




Visite de la station de tamisage (crédit photo : Eléonore Vandel)

vendredi, juin 4 2010

Faux-Cap

Une sortie avec 19 personnes de notre équipe était prévue jeudi dernier, direction Faux-Cap. Malheureusement, tout le monde s’est réveillé encore une fois sous la pluie. Nous ne sommes décidément pas chanceux avec la météo ici. Ce fut encore une journée de travail de perdue, et de nouveaux soucis d’inondation dans notre labo.

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Traversée de la piste inondée (crédit photo : Laurent Charles)



La sortie à Faux-Cap a donc été reportée à vendredi. Départ à 8h, nous sommes partis pour près de 3h de route, dans un très sale état après toutes ces pluies : nous avons traversé de nombreuses mares…


Les équipes se préparent à récolter (crédit photo : Eléonore Vandel)



Après avoir descendu tout le matériel sur la plage, une équipe ‘marée’ est partie faire des récoltes sur le platier, et une équipe de plongeurs a travaillé dans la grande piscine naturelle. Protégée par un banc rocheux, elle a ainsi l’avantage d’avoir une eau calme et donc une bonne visibilité. A 14h30 il était déjà l’heure de rentrer, afin d’arriver avant la tombée de la nuit. Bilan de la journée : une vingtaine d’espèces supplémentaires qui n’avaient pas encore été récoltées.


Vue sur la plage de Faux-Cap (crédit photo : Eléonore Vandel)

lundi, mai 31 2010

24 mai: Cap au Sud: plongée au Cap Sainte Marie

Nous avons plongé sur notre station la plus au sud de l'expédition. Le paysage est grandiose, de grands plateaux s'approchant très près de l'océan, des strates de couleur ocre, des gros blocs qui se détachent.



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 copyright MNHN Alain BARRERE




Eric Coppejans et Roberto Komeno en route pour le Cap Ste Marie



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 copyright MNHN Alain BARRERE




Dans l'eau, très peu de visibilité, nous pouvions discerner des formes à 50cm. Nous avons trouvé beaucoup d'algues, surtout des algues rouges, beaucoup étaient du genre Peyssonnelia. Dans cette station, 22 espèces d'algues ont été récoltées et mises en alguier par Eric Coppejans.


Dans la pénombre de l'eau, j'ai pu photographier un poisson que je n'avais jamais vu, il a été déterminé ensuite par Roberto Komeno, il s'agit d'un juvénile de Oplegnathe du Cap, Oplegnathus conwayi.



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 copyright MNHN Alain BARRERE

samedi, mai 29 2010

Opération mise à l’eau

Lavanono est un village de pêcheurs. Il y a donc la mer. Mais il n’y a pas de port. Juste une plage. Deux de nos bateaux ont voyagé par voie terrestre depuis Fort Dauphin. Une aventure en soi. Arrivés au village, il faut les mettre à l’eau. Pas une mince affaire non plus



Photo 1 :

Il a fallu descendre un de nos Bombard de sa remorque et le transporter sur la plage à bras d’hommes, avant de lui faire franchir la barrière de vagues. C’est du sport.




Photo 2 :

Le Patsa, bateau de dragage utilisé par Rudo von Cosel. Il pèse deux tonnes (le bateau, pas Rudo). Ce qui nécessite une vingtaine de personnes pour le manoeuvrer à terre.




Photo 3 :

Cette pirogue locale emmène les plongeurs jusqu’aux bateaux qui mouillent à l’écart des vagues. On notera le flegme du pilote Elie Jean (à l’avant) alors que son embarcation décolle.

jeudi, mai 27 2010

La grotte

Nous avons trouvé une grotte! Vers Nosy Manitsa. L'ouverture est à 20m de fond, le toit de la cavité est à – 14m.

Sa profondeur est d'environ 10m, il y a plusieurs conduits.

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Entrée de la grotte - Photo © MNHN | Thierry Perez


C'est très intéressant, car il y a toujours des organismes particuliers dans cet environnement difficile (obscurité, peu de renouvellement, etc...). En plus, nous avons deux spécialistes de ce biotope avec nous, Jo Harmelin (Bryozoaires) et Thierry Pérez (Eponges).

À cause de la faible luminosité, d'un espace fermé avec peu de renouvellement d'eau et donc d'apport de nutriments, les organismes ont dû s'adapter.

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Certains animaux peuvent devenir aveugles, dépigmentés. D'autres peuvent avoir des stratégies alimentaires spectaculaires (il existe des éponges carnivores dans des grottes de Méditerranée!)

Nous n'avons pas trouvé de ces éponges prédatrices de crustacés mais des crevettes transparentes, qui nagent verticalement en pleine eau.



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Crevette

Différents organismes ont été collectés avec le secret espoir de découvrir de nouvelles espèces.


Fond de grotte - Photo © MNHN | Thierry Perez

mardi, mai 25 2010

Veloma Fort Dauphin

Ce qui veut dire : « Au revoir Fort Dauphin »

Veloma For Dauphin

Le chargement du matériel, une opération délicate avant les longues heures de trajet sur des pistes chaotiques.




La première partie de notre expédition malgache s’achève. Après trois semaines passées à l’hôtel Petit Bonheur, notre base, nous plions bagages. Le laboratoire est démonté, le matériel rangé, les échantillons conditionnés.
Lors de la deuxième moitié de la mission, nous stationnerons à Lavanono (prononcer Lavanoune). Un village de pêcheurs situé très loin de toute forme de vie urbaine. Pas question d’oublier quoi que soit. Le transfert est donc une opération lourde et soigneusement préparée.
Un premier convoi part avec 7 véhicules (4 camions, 3 pick-up). Ils contiennent :
1 générateur
24 fûts de 250 litres de carburants
1 compresseur
15 bouteilles de plongée
Tout le matériel de collecte et de laboratoire (dragues, bassines, loupes binoculaires, etc.)
Des gens.
D’autres convois partent dans la semaine pour acheminer une nouvelle équipe de scientifiques. Sans oublier deux bateaux qui voyagent par voie terrestre : un pneumatique et un Patsa (une embarcation de 2 tonnes...).
Lavanono est situé à environ 250 km. Soit une grosse journée de transport, vu l’état des routes. Notons que le voyage sera encadré par la gendarmerie locale, pour s’assurer que la diligence ne sera pas attaquée par des bandits de grands chemins. Fini le confort ; l’aventure peut commencer.

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