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vendredi, novembre 27 2009

Auto-stop

Nous vivons depuis plusieurs semaines à quelques kilomètres du village de Nhica da Rovuma. Nous essayons de faire en sorte que notre présence ne trouble pas trop le quotidien des habitants. Une interaction se crée naturellement. Nous traversons quotidiennement Nhica, les villageois passent régulièrement par notre campement pour aller aux champs. On se dit « Jambo » en souriant, mais la communication est vite limitée par la barrière linguistique.

Toutefois, des collaborations ont lieu. Pro-Natura a fait construire un four à pain à Nhica. Des hommes du village sont parfois employés par nos scientifiques. Ils sont une aide précieuse pour la collecte des animaux.

Nous avons déjà parlé ici des différents problèmes de Nhica : accès à l’eau, isolement, absence de transport, entre autres. L’objet de notre expédition est la conservation de la biodiversité. Pas le développement ou le soutien aux populations rurales. Ce qui n’empêche pas de donner un coup de pouce de voisinage à l’occasion. Ce matin, Amina Asman devait se rendre à l’hôpital de Palma, 40 km de brousse plus loin. Une grosse journée de marche pour un homme en forme. Amina est enceinte de plus de huit mois. Russel Scott, notre photographe-chauffeur l’a conduit à l’hôpital, en compagnie de Daniel Nyavikondo, l’infirmier de l’expé. Ce n’est pas grand-chose. C’est la moindre des choses.



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Une voiture, parfois, c’est pratique.



mardi, novembre 24 2009

Saison des pluies, acte 1

Après quelques bruines annonciatrices mais négligeables, la vraie grosse pluie vient de s’abattre sur la forêt.
Tout le monde l’attendait avec impatience. Les scientifiques frustrés par la sécheresse qui endormait la nature vont pouvoir explorer un terrain différent, car fertilisé par le ciel. Des nuées d’insectes et d’oiseaux virevoltent déjà sous nos yeux, une autre végétation s’épanouira dans les prochains jours, les couleurs vont changer. Au boulot.


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Ce matin, 10h36. Chakalisa Maphosa, un des cuisiniers, a sorti son imperméable.


samedi, novembre 14 2009

Dans l’intimité du village (2e partie)

Après avoir conversé avec le conseil du village de Nhica, nous visitons la mosquée, l’église et rencontrons le directeur de l’école.

Se promener seul, il faut oublier. J’attire toute l’attention avec ma peau blanche et mon appareil photo. Une nuée de gamins me suit dans un tourbillon de curiosité et d’excitation. C’est mignon. Ce n’est pas complètement mignon, car ils sont parfois en haillons, souvent sans chaussures, et pas toujours en très bonne santé. Un bambino revêt un maillot du RC Lens. Une fille de 4 ans porte un nouveau-né dans son dos. Les plus petits sont effrayés par ma présence. « Tu es sûrement le premier blanc qu’ils voient », m’assure mon acolyte Hermenegildo. En dehors des membres de notre expé. en ce moment et de chasseurs occasionnels, Nhica ne connaît pas beaucoup de passage.

Enfant mozambicain

Les petits gars de Nhica.


Nous marchons entre les maisons en torchis, agencées en ordre régulier. Il y a des rues, ce qui est plutôt atypique dans un village africain. « Cela montre l’influence architecturale du Frelimo, le parti libérateur d’inspiration marxiste », m’expliquera Olivier Pascal, le chef de notre expé.
Des ados essayent de capter le signal d’une radio avec un petit poste déglingué. Des hommes jouent aux dames sous un arbre. Un vélo passe, chargé de quelques poissons.

On nous ouvre la mosquée.

La mosquée

La mosquée des femmes. On notera le tissu imprimé football.


Sur la terre battue, des nattes tressés, quelques chapelets, un mégaphone pour l’appel à la prière. On me montre le côté des hommes, puis celui des femmes. Sans que je leur demande, des habitant(e)s simulent une prière pour mon appareil photo. La société du spectacle existe aussi à Nhica. Nous passons devant l’unique magasin du village, qui vend des piles et des cigarettes.

Le commerce

Le petit commerce.


Nous visitons ensuite ce qui doit être la plus petite église du monde. Une case surmontée d’une croix. Je passe à peine par l’ouverture de la porte. Une planche plus ou moins dressée fait office d’autel. On doit pouvoir faire tenir dix personnes dans cet édifice.

Voici maintenant l’école. C’est un bâtiment en torchis, récent, avec trois salles. Il y a un tableau. Quelques bouts de bois liés entre eux forment des bancs. Rien d’autre. 250 élèves de primaire, de 6 à 15 ans environ, y apprennent la lecture, le calcul et le portugais. Il n’y a pas d’enseignement secondaire.

L'école

Les enfants devant l'école.


Nous rencontrons Alfonso Focas, le directeur de l’école, qui est assisté par cinq instituteurs. Les conditions de travail sont dures. Ces enseignants ne viennent pas de Nhica. Ils vivent ici pendant la semaine, dans une maison qu’ils louent, et rentrent parfois le week-end dans leur famille. Pour se nourrir, ils disposent d’un champ. Nous n’avons pas réussi à connaître leur salaire exact. On peut toutefois imaginer qu’ils ne disposent pas de golden parachutes.

Comment ça se passe au quotidien, senhor director ? «Nous manquons de moyens. Nous avons des livres de lecture en nombre suffisant, mais il faudrait une salle d’eau, des bureaux, un toit qui ne laisse pas tomber la pluie en classe. Les élèves se comportent bien, ils sont intéressés par l’école, nous avons des résultats. Mais il y a de gros problèmes d’assiduité. Les enfants doivent souvent aller aux champs pour aider leur famille à surveiller les éléphants. Nous avons plus de garçons que de filles, car elles doivent rester chez elles pour s’occuper des plus jeunes. L’éloignement est un autre problème. Nous n’avons pas de moyens de transport. Le collège se trouve à Palma, c’est trop loin. Après la primaire, les enfants ne peuvent pas continuer leurs études. Ils vont travailler au champ. Aucun enfant de ce village n’est jamais devenu instituteur. »

vendredi, novembre 13 2009

Dans l’intimité du village

Nous avons rencontré les notables du village de Nhica de Rovuma. Pour (essayer de) retranscrire leur point de vue.

C’est toujours compliqué de parler de la pauvreté en Afrique. On tombe facilement dans les écueils du misérabilisme stérile, du paternalisme post-colonial ou des clichés à 2 francs CFA. Sur les questions de développement, les paroles médiatiques nous viennent des ONG ou des politiques. Assez rarement des premiers concernés, les habitants de l’Afrique rurale.

Je me suis rendu au village de Nhica de Rovuma, non loin de notre campement, accompagné par Hermenegildo Matimele, un des botanistes mozambicains de l’expédition. Rapidement, nous avons été invités à la « mairie », la seule maison en dur, où se réunit le conseil du village. Soit une quinzaine de personnes, principalement des hommes âgés mais aussi quelques jeunes et des femmes. Le tout est présidé par le chef du village.

Moins de 12 heures après voir interviewé Albert II de Monaco, à la tête d’un des états les plus prospères du monde, je rencontre donc les dirigeants d’un village oublié au fond d’un des pays les plus pauvres. Je n’ai pas changé de chemise.

Je pose mes questions en anglais à Hermenegildo, qui les traduit en portugais au chef, qui les traduit en swahili aux autres. Ils discutent entre eux et la réponse remonte suivant le même trajet linguistique. Les propos retranscrits ici sont donc énoncés au nom de la communauté par Alfonso Dali, le chef du village.

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Le chef du village s’appuie sur une pompe qui ne fonctionne pas.



Combien y a t-il d’habitants à Nhica de Rovuma ?
Nous sommes 1331. Nhica est le nom d’une herbe, qui est utilisée pour fertiliser le sol. La Rovuma est la rivière à quelques km d’ici (NDLR : à la frontière tanzanienne).

Quelle est l’histoire du village ?
En 1964, pendant la guerre d’indépendance, une communauté s’est regroupée ici. C’était plus facile pour s’entraider et survivre.

Pourquoi avoir choisi cet endroit ?
C’est un lieu un peu en hauteur. Et il y avait de l’eau dans le village, ce n’était pas un problème. Maintenant, il n’y a plus d’eau. On ne sait pas pourquoi. Le puits construit récemment par la compagnie pétrolière Artumas ne fonctionne pas. Il descend à 50 mètres, ce n’est pas assez. Quant au puits de l’époque portugaise, il ne marche plus depuis longtemps. Il faut aller chercher notre eau avec des seaux, un kilomètre plus bas.

Que cultivez-vous ?
Du manioc, du maïs, sorgho, du riz. (NDLR : les villageois vivent aussi de la pêche et de la chasse).

Il y a beaucoup de pans de forêt brûlés dans les environs…
On ne met pas le feu à la forêt. On coupe des arbres pour faire des champs, puis on brûle les restes pour fertiliser. Mais le feu s’échappe parfois.

Les animaux sauvages sont-ils un problème ?
Il y a eu des accidents avec les lions il y a 7 ans. Le plus gênant, ce sont les éléphants qui cassent tout dans les champs. Nous avons construit des tours de garde. Des veilleurs y passent toutes les nuits jusqu’à la moisson, pour surveiller et faire fuir les éléphants.

De quels équipements le village dispose-t-il ?
Il n’y a pas d’électricité, pas de télé. (NDLR : il y a toutefois une parabole dans le village). Le four à pain a été construit cette année par l’équipe de Pro-Natura International. Il peut produire 150 pains par jour.

Quelles religions sont pratiquées ici ?
Nous sommes majoritairement musulmans, nous avons une mosquée avec un imam. Il y aussi 6 familles catholiques, avec une église. Il n’y a aucun problème entre les confessions.

Et la musique ?
Nous dansons le Mizobe, le Quelimo, le Singue. Cela donne de la joie. Nous avons uniquement des percussions, pas d’autre instrument.

Alfonso, comment êtes vous devenu chef ?
Il y a eu des élections. Nous préparons actuellement les prochaines.

Comment fonctionne la justice ?
S’il y a des désaccords, nous tenons un conseil de village. En cas de problèmes graves, ça se règle à Palma.

Quels sont vos principaux problèmes ?
L’eau, la santé et l’éducation. Et aussi le transport. Pour se faire soigner, Palma est à 30 km, soit 2 heures de route. (NDLR : il n’y a aucun véhicule motorisé au village, seulement quelques vélos).

Qu’attendez-vous de la part du gouvernement ?
Nous voudrions la restauration de la vieille route. Le gouvernement promet, mais rien n’arrive jamais.

Comment voyez-vous les blancs qui passent parfois dans votre village ?
On aimerait qu’ils puissent nous aider dans nos problèmes.

C’est à dire ? Vous voudriez une aide matérielle, un apport technique, des moyens de formation ?
(ici s’engage une discussion de 20 minutes entre les villageois puis la réponse surgit); On voudrait un tracteur.

Quelqu’un sait conduire dans le village ?
Non. Mais on apprendrait.

Demain, la deuxième partie de l’article sur Nhica

samedi, novembre 7 2009

Paris-Pemba


Pour nous, ça commence maintenant. Une partie de l’équipe est déjà sur place au Mozambique depuis quelques jours. D’autres arriveront plus tard. Aujourd’hui, nous sommes cinq au départ de Roissy : trois entomologistes, un grimpeur et votre serviteur.
Pour nous rendre dans l’hémisphère sud, nous prenons un vol pour Londres. D’Heathrow, nous embarquons pour Johannesburg. 11 heures plus tard, nous arrivons dans le plus grand aéroport d’Afrique, ultramoderne et prêt pour la coupe du monde de foot 2010. Nous y avons un premier aperçu de la faune africaine, sur le mode folklorique

Zèbre mort

 Peau de zèbre, Jo’burg airport, 7.26 AM.


Dans l’attente du prochain avion, les entomologistes parlent de leurs recherches, dans une langue ésotérique pour le commun des mortels. Point commun entre ces chasseurs d’insectes : ils sont tous tombés dans l’entomo enfants et ont fait de leur passion leur métier.
Le vol Jo’burg-Pemba nous fait survoler une grande partie de notre pays de destination. Le paysage est brûlé, c’est la fin de la saison sèche. Vu du ciel, le Mozambique est une longue terre aride parfois striée de fleuves tentaculaires, comme le Zambèze, et de reliefs inattendus, tels ces monts tabulaires surgissant de la plaine sans prévenir.

Le Mozambique vu du ciel

Le Mozambique vu du ciel.


Sur le tarmac de l’aéroport de Pemba, la chaleur écrase les passagers venus de l’automne européen et assommés par 30 h de voyage. Quelques bagages manquent à l’appel, c’était quasiment prévu. Personne ne s’inquiète, ils arriveront (probablement) dans la semaine.
Nous sommes accueillis par Roland Fourcaud, le logisticien de l’expé. L’homme a baroudé plus qu’à son tour (organisation de raids, urgence humanitaire…), nous sommes entre de bonnes mains. Nous avons un bout d’après-midi devant nous. Certains se mettent déjà au travail.

Olivier Montreuil

Olivier Montreuil, entomologiste en quête de scarabées moins d’une heure après être descendu de l’avion.



D’autres en profitent pour découvrir Pemba. C’est une ville de 200 000 habitants, aux routes de poussière et aux constructions précaires. Une ville pauvre mais en croissance, à l’image du pays. Pemba vit du bois, de l’agriculture, de la pêche, de la chasse. Deux compagnies de prospection pétrolière génèrent un peu d’emploi. Une industrie touristique voit le jour, en dépit du manque d’infrastructures. Un tour à la plage nous permet de faire très rapidement connaissance avec les vendeurs d’artisanat locaux. Nous évoluons déjà dans un monde éminemment différent de celui que nous avons quitté la veille, quand nous changions à Châtelet. Nous ne sommes pourtant pas encore arrivés, loin de là.
Programme pour demain : lever à 5 h avant d’avaler 8 heures de route et de piste pour atteindre le campement installé dans le bush près du village de Nhica de Rovuma, à la frontière tanzanienne. Là, nous serons vraiment « into the wild ». Châtelet nous paraîtra irréel et probablement absurde. Place ensuite au travail de collecte pour les chercheurs. Les emplois du temps sont serrés et seront sûrement modifiés, car on ne planifie pas l’Afrique. L’imprévisible guette, ce qui est mauvais pour la science et bon pour l’aventure. Une chose est sûre : la semaine prochaine, nous recevrons, au cœur de la forêt, la visite d’un chef d’état.