Nous avons rencontré les notables du village de Nhica de Rovuma. Pour (essayer de) retranscrire leur point de vue.
C’est toujours compliqué de parler de la pauvreté en Afrique. On tombe facilement dans les écueils du misérabilisme stérile, du paternalisme post-colonial ou des clichés à 2 francs CFA. Sur les questions de développement, les paroles médiatiques nous viennent des ONG ou des politiques. Assez rarement des premiers concernés, les habitants de l’Afrique rurale.
Je me suis rendu au village de Nhica de Rovuma, non loin de notre campement, accompagné par Hermenegildo Matimele, un des botanistes mozambicains de l’expédition. Rapidement, nous avons été invités à la « mairie », la seule maison en dur, où se réunit le conseil du village. Soit une quinzaine de personnes, principalement des hommes âgés mais aussi quelques jeunes et des femmes. Le tout est présidé par le chef du village.
Moins de 12 heures après voir interviewé Albert II de Monaco, à la tête d’un des états les plus prospères du monde, je rencontre donc les dirigeants d’un village oublié au fond d’un des pays les plus pauvres. Je n’ai pas changé de chemise.
Je pose mes questions en anglais à Hermenegildo, qui les traduit en portugais au chef, qui les traduit en swahili aux autres. Ils discutent entre eux et la réponse remonte suivant le même trajet linguistique. Les propos retranscrits ici sont donc énoncés au nom de la communauté par Alfonso Dali, le chef du village.
Le chef du village s’appuie sur une pompe qui ne fonctionne pas.
Combien y a t-il d’habitants à Nhica de Rovuma ?
Nous sommes 1331. Nhica est le nom d’une herbe, qui est utilisée pour fertiliser le sol. La Rovuma est la rivière à quelques km d’ici (NDLR : à la frontière tanzanienne).
Quelle est l’histoire du village ?
En 1964, pendant la guerre d’indépendance, une communauté s’est regroupée ici. C’était plus facile pour s’entraider et survivre.
Pourquoi avoir choisi cet endroit ?
C’est un lieu un peu en hauteur. Et il y avait de l’eau dans le village, ce n’était pas un problème. Maintenant, il n’y a plus d’eau. On ne sait pas pourquoi. Le puits construit récemment par la compagnie pétrolière Artumas ne fonctionne pas. Il descend à 50 mètres, ce n’est pas assez. Quant au puits de l’époque portugaise, il ne marche plus depuis longtemps. Il faut aller chercher notre eau avec des seaux, un kilomètre plus bas.
Que cultivez-vous ?
Du manioc, du maïs, sorgho, du riz. (NDLR : les villageois vivent aussi de la pêche et de la chasse).
Il y a beaucoup de pans de forêt brûlés dans les environs…
On ne met pas le feu à la forêt. On coupe des arbres pour faire des champs, puis on brûle les restes pour fertiliser. Mais le feu s’échappe parfois.
Les animaux sauvages sont-ils un problème ?
Il y a eu des accidents avec les lions il y a 7 ans. Le plus gênant, ce sont les éléphants qui cassent tout dans les champs. Nous avons construit des tours de garde. Des veilleurs y passent toutes les nuits jusqu’à la moisson, pour surveiller et faire fuir les éléphants.
De quels équipements le village dispose-t-il ?
Il n’y a pas d’électricité, pas de télé. (NDLR : il y a toutefois une parabole dans le village). Le four à pain a été construit cette année par l’équipe de Pro-Natura International. Il peut produire 150 pains par jour.
Quelles religions sont pratiquées ici ?
Nous sommes majoritairement musulmans, nous avons une mosquée avec un imam. Il y aussi 6 familles catholiques, avec une église. Il n’y a aucun problème entre les confessions.
Et la musique ?
Nous dansons le Mizobe, le Quelimo, le Singue. Cela donne de la joie. Nous avons uniquement des percussions, pas d’autre instrument.
Alfonso, comment êtes vous devenu chef ?
Il y a eu des élections. Nous préparons actuellement les prochaines.
Comment fonctionne la justice ?
S’il y a des désaccords, nous tenons un conseil de village. En cas de problèmes graves, ça se règle à Palma.
Quels sont vos principaux problèmes ?
L’eau, la santé et l’éducation. Et aussi le transport. Pour se faire soigner, Palma est à 30 km, soit 2 heures de route. (NDLR : il n’y a aucun véhicule motorisé au village, seulement quelques vélos).
Qu’attendez-vous de la part du gouvernement ?
Nous voudrions la restauration de la vieille route. Le gouvernement promet, mais rien n’arrive jamais.
Comment voyez-vous les blancs qui passent parfois dans votre village ?
On aimerait qu’ils puissent nous aider dans nos problèmes.
C’est à dire ? Vous voudriez une aide matérielle, un apport technique, des moyens de formation ?
(ici s’engage une discussion de 20 minutes entre les villageois puis la réponse surgit); On voudrait un tracteur.
Quelqu’un sait conduire dans le village ?
Non. Mais on apprendrait.
Demain, la deuxième partie de l’article sur Nhica