Papouasie-Nouvelle-Guinée 2012-2014 › Mission terrestre

vendredi, janvier 18 2013

Quelques oiseaux de Papouasie-Nouvelle-Guinée

Les scientifiques qui sont partis en forêt ont croisé quelques oiseaux mais assez farouches. Il leurs est arrivé de voir des Paradisiers très tôt le matin dans certains arbres mais les arbres sont tellement grands qu'ils étaient très loin. Les Paradisiers sont des oiseaux très rares et qui étaient chassés pour leurs très jolies plumes.


Le Paradisier de Raggi, le mâle a un plumage très voyant et fait une extraordinaire parade nuptiale pour attirer et séduire les femelles au moment de la reproduction. Il vit dans la forêt équatoriale humide et en altitude.
Crédit photographique : Thierry Magniez / MNHN / PNI / IRD / EducaNature




Le Calao de Papouasie, son régime alimentaire est principalement végétarien. 85% de son menu est constitué de fruits, les 15% restants de son alimentation sont composés de matières d'origine animale : insectes, petits reptiles, œufs, oisillons d'autres espèces, qui sont ingurgités surtout pendant la période de nidification.
Crédit photographique : Thierry Magniez / MNHN / PNI / IRD / EducaNature




Un grand Eclectus mâle, une espèce de perroquet, la femelle est rouge alors que le mâle est vert. Il se nourrit de fruits.
Crédit photographique : Thierry Magniez / MNHN / PNI / IRD / EducaNature




Les Milans qui chassent les Roussettes
Crédit photographique : Thierry Magniez / MNHN / PNI / IRD / EducaNature




Le Rhipidure hochequeue (Rhipidura leucophrys) est une espèce de passereaux. C'est un insectivore qui passe beaucoup de temps à chasser. Il est largement connu dans le folklore papou, soit comme porteur de mauvaises nouvelles, soit comme voleur de secrets.
Crédit photographique : Thierry Magniez / MNHN / PNI / IRD / EducaNature



mardi, décembre 11 2012

Un dernier pour la route

Wanang, Wanang ! Terminus, tout le monde descend. Les derniers sachets de spécimens sont triés, les équipes de la station de recherche plient bagages et se rapatrient par vague sur Madang. Avion pour tous en fin de semaine, direction la dinde et le réveillon.

Il est de coutume de produire un premier bilan « à chaud » pour servir d’épilogue. Un premier bilan ne va pas tout seul, et ne va pas sans chiffre. Je vous en abandonne quelques uns en vrac, chacun triera. Certains sont obscurs, d’autres imprécis ; mais le temps des rapports austères et des bilans financiers rigides n’est pas encore venu et je ne vois pas pourquoi je devrai déjà m’embêter avec ça. Et puis ce sera « fourre-tout » et bric à brac ; du décousu, du haché. Du « petit-bras » sur le verbe et de la syntaxe salopée. Kundiawa-Kegsugl : 40 km. Brahmin - Madang : 170 km. Ce genre de tirade. Débrouillez-vous avec les cartes. J’ai commencé avec une recette de cuisine, je finirai avec une liste d’agent en douane ; c’est de saison, avec le retour des containers qui s’annonce.

Au Mont Wilhelm, en additionnant les distances entre les différents camps et celles d’accès aux sites d’étude, le GPS affiche une centaine de km parcourue à pied, dont, en dénivelé, 3 100 m d’ascension et 5 500 m de descente. Personne n’a vraiment regardé les compteurs, mais 200 km de piste en voiture pour rallier Kegsugl de Kundiawa et Madang depuis Brahmin semble une estimation correcte.


Carte du transect altitudinal au Mont Wilhelm
Carte du transect altitudinal au Mont Wilhelm. Les camps aux 8 altitudes sont indiqués, ainsi que les principaux lieux sur le parcours.




25 jours dans la montagne (2 sans pluie) dont 9 jours de marche, pour rallier les 8 camps ; 16 jours de collectes par les deux équipes itinérantes. 16 jours de collectes aussi, réalisées en parallèle, sur chacun des 8 sites par les 16 parataxonomistes du BRC disséminés sur le parcours. 25 jours dans la plaine à Wanang, pour ceux qui n’ont guère vu la lumière, à part celle des lampes de leur microscope.


Camp à 1 200 m
Camp à 1 200 m, avec, de droite à gauche, Bony Koane et Franck Philip les deux parataxonomistes du BRC en charge du site et quelques uns de nos assistants villageois. Crédits: © Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD



32 pièges Malaise (dont 8 rachetés en catastrophe, pour remplacer ceux expédiés en Guinée par la poste belge qui a considéré que la Guinée africaine valait bien la Nouvelle) ; 80 FIT, 32 « mini » FIT, 40 fruit fly traps (pièges à mouche) disposés dans les parcelles d’étude; 25 000 Whirlpacks (sachets en plastique, cf. billet du 22 novembre), 45 000 tubes de 2 ml et autres consommables divers dont je vous épargne la liste ; 1 800 paquets de biscuits « Navy Beef », 384 boîtes de maquereaux « Three Seven » (péchés en Malaisie sous licence australienne et importés via le Japon en Papouasie-Nouvelle-Guinée, calculez vous-même le trajet des maquereaux jusqu’à nos assiettes au Mont Wilhelm) 336 boîtes de corned-beef (la plus terrible invention culinaire de tous les temps), 400 kg de riz, 90 kg de papier journal pour les herbiers, 400 litres d’éthanol à 98% pour préserver plantes et insectes, trop peu de Brandy pour conserver le moral des hommes (hommage ici à Antoine Mantilleri et Laurent Soldati pour leur formule utilisant l’alcool de laboratoire à des fins plus récréatives et labélisée sous le nom de « kill-me-quick »), 10 000 photos de Xavier Desmier (et beaucoup d’autres, qui se comptent en Gigabytes), 854 emails reçus du seul Maurice Leponce traitant de ce seul sujet pendant les 2 ans de préparation du projet.

1 000 hommes/jour pour les seuls porteurs, donc un millier de portages (« bons au porteur » signés à l’appui). À 15 kg le poids « syndical » accepté par un porteur, cela donne une masse totale portée (nourriture, matériaux pour les camps, sacs, etc.) de 15 tonnes. Ce poids total « porté », qui englobe des kilos charriés plusieurs fois pendant le séjour (les générateurs, par exemple, ou les échantillons scientifiques comme les herbiers qu’il a bien fallu trimbaler de bout en bout) n’est pas celui du poids total en matériel et nourriture, plus proche de 5 tonnes. Difficile de compter le nombre de porteurs différents embauchés, mais l’estimation basse est de 200. Avec les assistants et journaliers employés pour d’autres tâches, c’est environ 300 personnes qui ont travaillé avec nous pour l’expédition au Mont Wilhelm. Zéro blessé.


Chargement du matériel et des vivres
Chargement du matériel et des vivres, répartis en sacs de 15 kg. Crédits : © Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD



1 260 « bons au porteur » (cf. billet du 12 octobre) distribués pour être échangés à la fin de l’opération contre de l’argent liquide, pour payer les portages, la construction des camps (une semaine de montage, 3 jours de démontage pour chacun) et les assistants pour les différentes tâches à accomplir (cuisine, gardiennage, aide au travail des scientifiques). Ce principe des « bons au porteur » si bien nommé a parfaitement fonctionné. Nous avons même assisté à l’apparition d’un système bancaire. Certains bons se sont retrouvés dans les mains des « shop keepers », les dits bons servant de monnaie pour parer aux achats pressés. D’autres furent rachetés en dessous de leur valeur nominale par des usuriers qui fournissaient ainsi en cash ceux qui ne voulaient, ou ne pouvaient, attendre de les transformer en Kinas. Un discount de deux à trois Kinas était alors pratiqué. C’est ainsi qu’au lieu de voir arriver une foule nombreuse le jour de la paye, le 3 novembre pour les parties hautes, il y eu bien moins de gens que prévu à tendre la main à Kegsugl. Cinq d’entre eux avaient racheté une telle quantité de bons qu’ils reçurent en échange plus de la moitié du liquide convoyé (40 000 K) sous surveillance policière. Un des usuriers a présenté pour 2 600 Kinas de bons (environ 1 000 euros), dont la plupart d’une valeur oscillant entre 15 et 40 K. Comme anticipé par Vojtech, le paiement des assistants et des porteurs sur les quatre sites du bas n’a généré aucun phénomène de ce type. Vojtech l’explique par les différences culturelles et de mentalité : les « Highlanders » (Simbu), plus rudes, sont toujours plus prompts au business que leurs frères ennemis des parties basses et de la plaine (Madang).

Pour la participation locale au travaux scientifiques pour les altitudes concernées : 24 assistants dévolus à la maintenance des pièges à insectes, 16 parataxonomistes pour les faire fonctionner, un nombre difficile à cerner d’assistants attachés à d’autres tâches (cuisine, construction ou autres travaux pas toujours évident à identifier, mais payants), sachant qu’une politique de relance par la demande est apparemment ici largement pratiquée, certains camps étaient bien remplis. Pour ce qui me concerne : 10 kg et 2 dents en moins, 4 chemises et un pantalon en plus.

13 rivières nommées « Wanang », la 14e étant la Ramu : j’ai compris sur le tard pourquoi le village de Wanang était connu sous le nom de Wanang 1 et la station sous celui de Wanang 3, d’après le numéro des rivières qui y passent et pourquoi il n’y avait rien à Wanang 2, à part une rivière. À l’inverse, dans la montagne, il a fallu un peu moins de temps pour réaliser que la Binaru et l’Inbrum n’étaient qu’une seule et même rivière, qui porte peut être un autre nom plus en aval de son cours.



Village de Wanang
Village de Wanang (au bord de la rivière Wanang n°1). Crédits: © Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD



79 : le nombre d’années séparant la première traversée par des « hommes blancs » de la cordillère centrale en suivant (à peu près) le même parcours que l’expédition, mais en sens inverse.

« Towards the end of 1932 the Roman Catholic Mission at Alexishafen had sent across the Ramu a 28-years-orld German priest, Father Alfons Schaefer, S.V.D. He founded the mission station at Bundi in February 1933. « the natives there pointed southward to the tops of the Bismarcks range and said « some of our wives are of people who live over those mountains. There is a grassland valley there and many, many people. We go over and visit and trade with them. The tracks are not bad. We can take you, and with us you can travel safely. We call the country over there Arava… He went in October 1933… Father Cranssen and Brother Antonius went with him. The native led them right across the range and down into the gorge of the Chimbu river and on to a branch-head of the Wahgi valley. » (extrait p. 159, tiré de Plumes and Arrows de Colin Simpson, A.S. Barnes & Co, eds, 1964)

En Octobre 1933, après avoir installé la mission de Bundi, le Père Alfons Schaefer (Society of the Divine Word) fut le premier homme blanc à grimper vers le pays Arava, au-delà de la cordillère centrale ; parti des environs de Madang, il a emprunté le même chemin que nous avons suivi pour arriver à « Chimbu » (aussi orthographié Simbu), l’actuelle Kundiawa et trouvé la vallée de la Whagi (la grande vallée située entre Kundiawa et Mt Hagen), mais 6 mois trop tard pour en être le « découvreur », les frères Leahy (au sens biologique ici) furent les premiers à s’y rendre par une autre voie ; ces chercheurs d’or ont eu cette fois-ci un temps d’avance sur les propagateurs de la foi. La fièvre de l’or et la ferveur religieuse, voilà les deux moteurs historiques de l’exploration de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Quelques « Patrol Officers » australien furent aussi des défricheurs de territoire, mais leur motivation n’était pas non plus l’exploration, mais la « pacification » des régions non contrôlées, et souvent au bénéfice du « goupillon » et de la « batée », les deux instruments qui furent les plus utilisés pour dresser les cartes de ce pays.


Village de "Mundia bridge
Village de Mundia bridge, à proximité de Kegsugl, dans la haute vallée de la rivière Chimbu – au premier plan - qui débouche, après les gorges du même nom, dans la vallée de la Wahgi au niveau de l’actuelle Kundiawa. Ce village doit encore ressembler à celui qu’a connu le premier visiteur européen de la région, le Père Schaefer, en 1933. La carte 1 (ci-après) le situe à l'emplacement d'un village nommé INAU. Crédits: © Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Carte de la vallée de la rivière Chimbu
Carte de la vallée de la rivière Chimbu, réalisée au début des années 60 pour illustrer le le livre de Colin Simpson Plumes and Arrows. Crédits: illustration p. 167, Plumes and Arrows, Colin Simpson, New york: A. S. Barnes and Company, 1964


Carte des Central Highlands
Carte des Central Highlands, tirée du livre de Colin Simpson Plumes and Arrows, 1964. La carte montre la voie empruntée par les frères Leahy, découvreurs de la vallée de la Wahgi en 1933. Bundi, Kegsugl et Chimbu (Kundiawa) sont indiquées, ainsi que le Mont Wilhelm. Crédits: illustration p. 183, Plumes and Arrows, Colin Simpson, New york: A. S. Barnes and Company, 1964



À l’époque du Père Schaefer, les guerriers Chimbu n’étaient pas tendres avec les voisins ou les visiteurs surprises. Quelques uns de ses coreligionnaires ont laissé leur peau et le reste dans les gorges de la Chimbu (cf. indications macabres sur la carte de la Chimbu Valley), là où l’expédition est passée pour grimper sur la piste maintenant carrossable qui mène de Kundiawa à Kegsugl. La réputation des Chimbu est toujours vivace. Mais désormais, les guerriers modernes sont équipés de M16 provenant des pillages des armureries par les soldats eux-mêmes qui les revendent pour améliorer leur solde, de trafic de Marijuana (une filière « herbe contre arme » fonctionne bien entre les Highlands et l’Australie) et de quelques politiciens attentifs à voir ses électeurs bien équipés (un des candidats à l’élection au poste de gouverneur de la nouvelle province dans les Highlands s’est fait prendre en tentant d’importer des armes dans un container au port de Lae pour armer ses tribus, toujours en bisbille avec les voisins).

Guerrier de la région de Chimbu dans les années 50
Guerrier de la région de Chimbu dans les années 50. Crédits: photo de l'auteur p. 104, Plumes and Arrows, de Colin Simpson, New york: A. S. Barnes and Company, 1964


Guerrier Chimbu moderne
Guerrier Chimbu moderne, posant avec son fusil d'assaut M16. Les armes à feu remplacent désormais les arcs et les flèches dans les Highlands. Crédits: DR.


                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Une pincée de comptes naturalistes pour la fin. Parmi les quelques informations glanées auprès des scientifiques – il est souvent difficile de les confesser avant l’heure, le taxonomiste est rigoureux – les schémas de répartitions aux diverses altitudes des plantes et des animaux commencent à se préciser, par petits bouts, et pour quelques groupes faciles à cerner. Nous n’avons pas trouvé de palmier au-dessus de 2 500 m d’altitude (ce qui est en ligne avec le cas général : pas de palmier sous les tropiques au-dessus de 3 000 m). 2 espèces à 2 200, 3 à 1 700 (dont un palmier rotin commun avec le site étudié à 2 200), 9 espèces à 1 200 (dont 2 communes avec celles à 1 700). Les fourmis sont comme les palmiers ; elles ne supportent guère les basses températures et elles sont absentes au dessus de 2 200 m. Le termite est encore plus frileux apparemment, et il faut descendre à 1 200 m pour trouver les premiers. Le phénomène est général, les bêtes sont beaucoup plus variées en dessous de 2 000 m (10 espèces de blattes à 2 200 m, contre 1 seulement à 3 700, par exemple). La richesse croît quand l’altitude décroît, mais pas de façon linéaire ; on observe un net bond dans la richesse en espèce à partir de 1 500 – 1 200 m. Cette règle varie à l’intérieur des groupes, au niveau des espèces. Celles des grillons, des blattes et des sauterelles montrent des chevauchements sur un gradient d’altitude assez étendu (on rencontre plusieurs espèces identiques à des altitudes différentes), on trouvera par contre des changements plus marqués dans les espèces de phasmes aux différentes élévations, les phasmes étant peut-être plus liés aux modifications de la végétation.

3 000 spécimens de grillons (environ 40 espèces), de blattes (50 espèces), de sauterelles (40 espèces) et de phasmes (50 espèces). Ceci n’est qu’un avant-goût des dizaines de milliers de spécimens collectés. Si Tony arrive encore à peu près à compter ses Orthoptéroïdes, les coléoptéristes mettront, eux, des mois avant de fournir des chiffres sur les leurs. Ils ne chassent pas dans la même catégorie. L’un d’entre eux, Antoine Mantilleri, a enfin trouvé la bête qu’il cherchait, après 3 semaines d’une fouille fébrile des alentours de la station de Wanang. Cette bête, qui n’est connue que de 4 ou 5 exemplaires au Muséum de Paris, appartient à une famille mal brélée et qui n’en est même pas une pour certains. Ce spécimen rarissime est peut-être le « chaînon manquant » qui lui permettra de vérifier comment situer ces foutus Eurhynchidae entre la famille des Brentidae et celle des Apionidae, ou décider de les recaser dans l’une des deux. Avec un exemplaire « frais » de cette espèce (ceux disponibles en collection sont trop anciens pour servir à des analyses moléculaires) Antoine va pouvoir séquencer son ADN et résoudre son problème de phylogénie.

Les espèces nouvelles se comptent évidemment en dizaines, et nos partenaires peuvent dormir sur leur deux oreilles, les résultats seront bien à la hauteur de leurs généreux soutiens. D’autant qu’un article sur une de nos précédentes opérations (Panama 2003) va bientôt être publié dans une revue scientifique prestigieuse, ce qui leur montre que nous avons de la suite dans les idées, mais qu’il faut, en Science, savoir être patient.

À la prochaine.

Olivier Pascal, le 5 décembre 2012

jeudi, novembre 22 2012

Trions ensemble, mes frères

« Tout ça, c’est noir de Staphylins » grimace Laurent Soldati (un nom accordé à son uniforme - pantalon de treillis et baïonnette à la ceinture kaki) en me mettant sous le nez un petit sachet en plastique rempli d’un liquide où flotte un millier de bestioles pas plus grandes qu’une rognure d’ongle.

Laurent Soldati

Laurent Soldati brandit un sachet "whirlpack", qui renferme des insectes collectés sur le Mont Wilhelm. Des heures de travail à la loupe binoculaire en perspective. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Le sachet renferme deux jours de piégeage d’un des 160 FIT ( Flight Intercept Trap) installés sur le transect du Mont Wilhelm pendant deux semaines. En plus des Staphylins, Laurent y trouvera un chouilla de charançon, quelques Cleridae, pas mal de platypodes, une pincée de Scotylidae, mais à son grand désespoir, pas un seul Tenebrionidae, sa famille de prédilection. Laurent est doublement malheureux. D’abord, les Staphylins ne font pas son affaire : une famille de coléoptères trop colossale, intraitable sur le plan de la systématique et qui sera donc mise de côté dans les futures études taxonomiques et les analyses écologiques. Ensuite, il piaille d’impatience d’aller chasser « ses » bêtes dans la forêt toute proche ; et s’il n’était pas un garçon très « comme il faut », d’une patience exquise, il enverrait volontiers son sachet à la figure de Maurice Leponce, qui le retient contre son gré dans une pièce exsangue de la station de recherche de Wanang.



La station de recherche biologique de Wanang

La station de recherche biologique de Wanang, située près de la rivière Ramu, au coeur d'une zone de forêt protégée de 10 000 ha. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Maurice n’en mène pas large ; le cas Soldati n’est pas isolé et les autres « experts » étrangers ne sont pas plus emballés à l’idée de passer trois semaines à trier des échantillons récoltés par d’autres (les chanceux, ceux qui gambadaient dans les alpages de la cordillère papoue). 3 448 sachets doivent être passés au crible et ce travail pénible semble, au moins à première vue, insurmontable. Deux cents, trois cents milles, un demi million de spécimens à trier? À quoi comparer un travail apparemment aussi vain qu’herculéen ? Peut-être à la traduction de la Bible dans les 800 langues papoues (en cours), sauf qu’aucune inspiration divine ni aucun dieu ne peut imposer ce travail à nos scientifiques rationalistes.



Soupe d'insectes

Soupe d'insectes. La plupart ne mesure que quelques millimètres, et des centaines d'individus ont été capturés dans chacun des pièges disposés le long du transect sur le Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Cette scène dramatique d’un scientifique vacillant, perdant au même moment ses appuis et ses illusions sur l’aventure néo-guinéenne ne signifie pas que l’expédition « terrestre » vient de basculer inopinément dans le chaos et l’horreur. C’était prévu. Minutieusement, horriblement planifié. Mais je vous dois évidemment quelques explications après le grand silence des jours derniers.

Retour en arrière. Sortis sans encombre de la montagne, revenus à Madang le 8 novembre, les 9 et 10 furent consacrés à surtout ne rien faire, à part regarder partir les partants et arriver les arrivants (6 scientifiques tout neufs). Une brève visite aux « marins » pour profiter de commodités devenues chimériques pour les « terrestres » : la nourriture – qui frôle la toque d’argent, quoi qu’ils en disent - et la bière.

La translation vers la forêt de plaine de Wanang est organisée le 11 novembre. D’abord en voiture, jusqu’au village du même nom avec arrêt « Sing-Sing ». Quelques palabres, du cochon, un grand blanc et les chants qui commencent à la tombée de la nuit. Une brassée de Papous, qui a troqué shorts et casquettes de baseball pour une tenue végétalisée (Rafia, fougères) et parée de plumes de casoar entame une ronde infernale, chantant inlassablement les mêmes paroles, que l’on apprendra plus tard être de bienvenue au « projet », de 18 h 00 jusqu’à l’aube le lendemain. Une performance. Le 12, après cette courte nuit et quelques heures de marche sous un soleil de plomb, la troupe rallie la station de recherche de Wanang 3, isolée au milieu de 10 000 hectares de forêt mises en défens par la communauté locale. Trois bâtiments, hauts perchés sur pilotis, installés là depuis quatre ans à grand renfort d’hélicoptère.

Dès le lendemain, l’usine à tri est mise en route, sur le modèle – dans une moindre mesure et à échelle réduite – du « laboratoire marin » sis à la Divine Word University. Pour l’essentiel, ce séjour à Wanang doit permettre de séparer, répartir et (commencer à) classer les insectes collectés dans la montagne.



12 Parataxonomistes

12 Parataxonomistes, encadrés de 6 scientifiques étrangers tentent de venir à bout des 3448 échantillons, résultats des captures dans les forêts de montagne. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Des seaux remplis de sachets, eux-mêmes remplis de bestioles en une masse indistincte qui flotte dans l’alcool. Les microscopes alignés sur les tables attendent les paires d’yeux qui viendront s’y coller pour accomplir pendant des heures la tâche ingrate d’avoir, pour les nouveaux venus, à manipuler des bestioles chiffonnées et décolorées par l’éthanol pur et qu’ils n’auront même pas entraperçues vivantes. Philippe Bouchet y arrive bien, lui, avec sa troupe. Mais méfions-nous des « terrestres », peut-être moins rôdés ou moins résignés à courber l’échine sur leurs binoculaires : si l’isolement est une garantie contre toute tentative de fuite, la forêt est à portée de filet à papillon et c’est une tentation terrible pour les forçats du bagne de Wanang. On les lâchera de temps en temps, sous surveillance, sinon l’émeute semble inévitable. 6 scientifiques étrangers et une douzaine de Parataxonomistes singeant donc la chaîne de traitement des spécimens imaginée par P. Bouchet, grand adepte du fordisme.



Bradley, un des parataxonomistes du BRC

Bradley, un des parataxonomistes du BRC, fait un premier tri des insectes collectés dans les forêts du Mont Wilhelm. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


C’est inhabituel pour la composante « terrestre » de nos expéditions, où nous sommes plutôt enclins à reporter au surlendemain ce que nous aurions dû faire l’avant veille. Mais ici, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aucun spécimen de plante ou d’animal ne passe la frontière sans avoir été au préalable affublé d’un minimum d’identité. La plupart sont identifiés grossièrement, mais c’est déjà un labeur considérable de repérer qui est qui dans un jus brunâtre renfermant des centaines de bestioles et de tailles, pour 90% d’entre elles, inférieures au demi centimètre. Tous ces sachets ne pourront être triés et seulement certains « groupes cibles » (expression à la raideur militaire désignant ceux qui pourront passer entre les mains des rares spécialistes en activité, mais masquant surtout l’ampleur de notre impuissance) seront retenus. Pour ceux-là, le nombre d’espèces et d’individus seront comptabilisés.



Les insectes, répartis par groupes

Les insectes, répartis par groupes, sont (pour certains destinés à être identifié plus tard) soigneusement disposés en couche. Ici, toute une série d'Hyménoptères, le groupe d'Adeline Soulier-Perkins du Muséum national d'Histoire naturelle. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


La stratégie, orchestrée par Vojtech et Maurice, les deux matons du bagne de Wanang, s’oriente vers un échantillonnage dans les sachets, surtout ceux venant des pièges Malaise et des FIT, les plus nombreux, avec en ligne de mire la séparation des bêtes d’un nombre de sachets équivalents et suffisants (parions ici sur la moitié) pour chaque altitude. La difficulté est évidemment de ne pas savoir ce que contient chaque sachet. Alors pour évaluer l’ampleur du travail, des sondages sont effectués pour des lots provenant d’altitudes basses et moyennes, là où la diversité est la plus importante. C’est forcément moins rigolo que de batifoler dans les forêts du Mont Wilhelm, et Claire, Adeline, Antoine, Dan, Laurent et Tony (le seul à avoir signé pour la « montagne » et pour la « plaine » ; jeune fou) lancent des regards torves aux tauliers dans les rares moments où ils peuvent ôter leurs yeux des microscopes. J’ai quitté les forçats le 18, assez lâchement, au prétexte d’affaires urgentes à Madang. J’y retournerai sur la pointe des pieds, dans une dizaine de jours, pour vérifier que la pile de sachets diminue, que la baïonnette de Soldati n’a pas quitté son fourreau et que Maurice et Vojetch sont encore vivants.

Olivier Pascal, évadé du bagne de Wanang

vendredi, novembre 2 2012

Le grillon et le cochon

Philippe Bouchet – qui est en tain de mettre le couvert à la grande table du module « marin » de l’expédition à Madang – répète ad nauseam à tout journaliste impatient que le moment « Eurêka !» de la découverte d’une espèce nouvelle est le plus souvent différé longtemps après sa trouvaille, et très loin de son habitat naturel. Et il a raison ; dans la très grande majorité des cas, c’est en comparant le spécimen de plante ou d’animal en question à d’autres de la même famille, dans les collections des muséums que l’on « découvre » une espèce, bien après la fin d’une expédition. Tout au plus a t-on, lors d’une capture, des soupçons, des présomptions que la bestiole ou le rameau en fleur que l’on tient au bout des doigts est peut-être inédit dans les grandes annales naturalistes.

Pour contredire le cas général, nous avons avec nous Tony Robillard. Sévèrement mélancolique il y a peu, ayant fait chou blanc au cours de longues chasses nocturnes stériles et mouillées, après avoir repris des couleurs à 1 700 m lorsque le premier représentant de sa sous-famille de grillon d’adoption est tombé dans son filet, il est aujourd’hui sur un nuage et affirmatif à 100% : les Eneopterinae lui ont livré trois espèces nouvelles « pour la science » ; deux dans le genre Lebinthus et une dans le genre Cardiodactylus.



Nouvelle espèce de grillon des forêts du Mont Wilhelm

Nouvelle espèce de grillon des forêts du Mont Wilhelm (Cardiodactylus sp. nov.). Crédits: Xavier Desmier / MNHN / PNI / IRD


Pourquoi tant d’assurance ? Première raison essentielle : il n’existe que deux spécialistes dans le monde de cette sous-famille de grillon ; et Tony est l’un des deux. La deuxième vient du fait que ce groupe est « minuscule » comparé à d’autres groupes d’insectes ; avec une vingtaine de genres et quelques centaines d’espèces seulement (dont environ 200 espèces déjà décrites). Il est évidemment plus facile d’acquérir une connaissance très fouillée sur un groupe lorsqu’il n’est pas constitué d’une myriade d’espèces mal connues. La troisième raison est plus triviale : Tony a préparé son coup. Il vient de finir la révision des genres pour le Sud-Est asiatique jusqu’à l’île de Nouvelle-Guinée, dont l’examen minutieux est son projet actuel. Il a donc fait le tour des spécimens disponibles dans la plupart des collections (Leiden, Londres, Paris, Vienne, le Bishop Museum à Hawaii) et dispose de près des deux tiers de l’ensemble des spécimens accumulés dans le monde depuis la fin du XIXe siècle.

Consciencieux, il les a tous passés au crible avant de partir ; il est même capable, pour la nouvelle espèce de Cardiodactylus, d’attester avoir repéré dans ses boîtes à Paris deux spécimens de l’espèce qu’il vient de capturer à 700 m. Il se souvient s’être interrogé sur ces spécimens, et après étude anatomique, avait déjà conclu qu’ils appartenaient sans doute à une espèce nouvelle, et non à l’espèce novaeguinae, une espèce « fourre-tout » (selon Tony) qui en contiendrait en réalité plusieurs et dans laquelle les spécimens avaient été négligemment rangés. Tony cherchait donc la preuve vivante de ses conclusions anticipées, et il la trouvée, stridulante, dans la forêt du Mont Wilhelm à 700 m d’altitude. Il y a bien eu préméditation. Mais les journalistes qui sont avec nous sont contents.

Nos autres camarades entomologistes ne sont pas en reste, et même s’ils ne crient pas à tue-tête le cri d’Archimède dans les sous-bois, ils le pousseront sans doute dans leur laboratoire ou dans leur bain, de retour à la maison. Nous avons amassé, par exemple, une collection de Phasmes impressionnante, dont une phyllie, un phasme déguisé en feuille qui est tombée à point nommé dans l’escarcelle de Maurice Leponce pour célébrer, demain, les retrouvailles de l’équipe d’entomologie et celle des botanistes, qui se croiseront au camp du ‘700’.


Une phyllie (un phasme-feuille)
Une phyllie (un phasme-feuille) dans les forêts du Mont Wilhelm, à 700 m d'altitude. Crédits: Maurice Leponce / MNHN / PNI / IRD


La même Phyllie
La même Phyllie, camouflée sur son support. Crédits: Maurice Leponce / MNHN / PNI / IRD



Cette unique journée où les deux équipes seront réunies sur les pentes du Mont Wilhelm sera célébrée dignement avec la consommation d’espèces qui n’ont plus de secrets pour personne mais suffisamment rares dans les marmites de l’expédition pour être l’objet de l’attention fébrile de tous les scientifiques rassemblés en conclave gastronomique, la fourchette entre les dents et la bave aux lèvres. Autant vous dire que pour l’instant, on se fiche de savoir si la phyllie est une nouvelle espèce ou non. Vive le cochon !

Olivier pascal, le 2 novembre 2012

mercredi, octobre 31 2012

En descendant de la montagne, etc.

Yusi, chigger, aoutat, appelez-la comme vous voulez dans les trois langues parlées au camp du ‘1 200’, c’est la même bestiole déplaisante : un acarien invisible qui colle à la peau et démange comme une envie de pisser au petit matin. C’est, pour ceux qui connaissent la Guyane et ses « poux d’agoutis », le signe que l’équipée stationne maintenant à des altitudes plus fréquentables en température.


La photo des Dupont(s) en costume traditionnel d'entomologiste.
Avec un 'billet' de retard (voir le billet du 26 octobre), la photo des Dupont(s) en costume traditionnel d'entomologiste. Crédits : Jérôme Orivel / MNHN / PNI / IRD


Le groupe « entomologie » ratisse les sous-bois à 1 200 m. Je les ai rejoints après deux jours de marche et 40 km, en passant par le village de Bundi (1 400 m) depuis le camp du 2 200 où les botanistes s’apprêtent, eux, à rallier le 1 700. Descendre, monter ; dévaler des pentes et hisser ses groles plombées jusqu’à la prochaine passe. Guide pratique : par grandes glissades successives, rejoindre, depuis Bundi, la rivière Binaro à 560 m et grimper à 1 200, via le camp du 700. La plus longue des étapes est maintenant derrière la moitié des membres de l’équipe, et ceux qui l’ont franchie, assommés de fatigue, ne sont pas mécontents.



En descendant du Mt Wilhelm

En descendant du Mt Wilhelm
En descendant du Mt Wilhelm
En descendant du Mt Wilhelm, entre le site à 1 700 m vers celui à 1 200. Crédits: Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Transhumance oblige, radio Mt Wilhelm a cessé d’émettre ces derniers jours, mais le berger est à nouveau sur le pont. Un peu moins affuté que dans l’alpage, je préfère vous prévenir. Quatre jours au pas de course, mais sans faux-pas. Seul incident notable, Gwen, le journaliste, a fondu les deux chargeurs de sa caméra. Des prises électriques pleines d’eau, sans doute. Rien de grave pour la science, mais plus compliqué pour la communication. Tu parles d’un spécialiste des conflits, il a réussi à échapper à tous les rackets à Benghazi et sauver son matériel des pilleurs libyens pour venir en Papouasie le brûler tout seul, comme un grand reporter (chargeur de secours compris). Du détail donc ; de la petite misère pesée en gramme. Nous sommes tous en t-shirt maintenant, c’est vous dire si l’on est bien. Plus très loin des « Aventuriers de Koh-Lanta », le standard ultime en matière de confort, envié (et moqué) par tous les scientifiques de terrain. Et puis les « moumoutes polaires » ont disparu, c’est quand même plus convenable.

Descendre cette montagne, c’est passer du régime fraise-pomme de terre aux bananes et patates douces. Les tropiques sont à présent dans les clous de notre imaginaire. Dans la montée à 1 200, les chemises se mouillent enfin d’autre chose que de pluie. Des jardins, des odeurs de fruits fermentés, le nez se remet en marche. Barrage de feuilles vert sombre dans le sous-bois, les troncs sont nus : la grande forêt de plaine n’est plus très loin. Les bruits nocturnes après le silence des nuits aux hautes altitudes et toujours ces questionnements amusés sur l’origine des sons bizarres. Le sommeil de Tom Fayle a été interrompu cette nuit par un avertisseur de marche-arrière, celui de Maurice par la sonnerie d’un réveille-matin ailé.


En descendant du Mt Wilhelm

Rideau vert à 1200m. La forêt ressemble désormais à celle que l'on trouve en plaine, avec beaucoup d'espèces communes. Crédits: Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Hôtellerie : je rassure les familles, les camps à 1 200 et 700 sont des palaces. Nos assistants villageois ont vu les choses en grand. Cascade et jacuzzi, l’hygiène progresse.

Cascade et bain à bulles

Cascade et bain à bulles, les conditions d'hygiène reviennent à un niveau acceptable. Ne manque plus que le robinet d'eau chaude. Crédits: Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

Le « 1 200 » est même doté d’un espace « laboratoire » ; c’est plus agréable de ne pas manger son frichti avec la crotte de poulet d’Orivel au milieu des condiments. On s’embourgeoise, mais le travail augmente aussi. Les captures sont en nette hausse et tout le monde est désormais servi : fourmis en quantité, la fameuse sous-famille de grillon tant désirée par Tony depuis 20 jours a bien voulu sacrifier une espèce aux collections du Muséum dès 1 700 m et Roisin n’affûte plus son Tomahawk en vain, les termites ayant fait leur apparition à 1 200 m.

Le palace à 1 200 m

Le palace à 1 200 m : un camp de luxe en forêt pour savants fatigués. Crédits: Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Les couches d’insectes s’empilent, les tubes de tout calibre s’entassent et l’alcool coule à flot — celui pour préserver les spécimens uniquement, au grand dam de certain. À 15 kinas la bouteille de bière dans les quelques échoppes rencontrées, ça cogite ferme sur les potentialités qu’offrirait la combinaison des litres d’éthanol à 98% en réserve avec les agrumes disponibles dans les jardins. Les raisons d’un « demi » à 6 euros ? La mine de cuivre située quelque part dans une vallée adjacente. L’inflation provoquée par l’industrie extractive percole jusque dans les « stores », et l’on se demande qui peut bien acheter un paquet de crackers aux prix pratiqués. Le bourdonnement des hélicoptères qui ravitaillent la mine, le filet remplit suspendu sous la carlingue, est incessant certain jour. Descendre la montagne, c’est aussi se rapprocher de l’agitation de la côte, et de l’activité des hommes. On ne chute pas de 4 000 m sans dommages. Je vais rester un peu au 1 200 à me gratter les Yusi.


Olivier Pascal, 31 octobre 2012

jeudi, octobre 25 2012

Science et autres recettes à 2200m

Autant, et sans doute pour les mêmes raisons obscures que les O’Timmins et O’Hara, les « Simbu » et les « Madang » se détestent. Franchir le col de Mondiapas, c’est passer d’une province à une autre, mais aussi franchir la ligne de démarcation entre des groupes aux langues différentes – les « Simbu » parlent le Gende et les « Madang » le Kuman -  qui se battent régulièrement pour la possession de cette passe qui n’a, a priori, rien de stratégique, du moins d’un point de vue géographique. 

Nous sommes désormais installés chez les « Madang » dans la province éponyme, et ce jusqu’à Brahmin, le dernier village en bordure de la plaine de la rivière Ramu. Les Botanistes sont eux au 3 200, leur problème d’éthanol est résolu mais est survenu entre-temps une pénurie de papier journal (pour presser les échantillons de plantes). Les téléphones ont sonné dans tous les sens et Roland est parti en chasse de ce précieux consommable à Kundiawa (la qualité qui se fume, pas celle qui se lit, beaucoup plus chère) et une pile de 90 Kg leur a été livrée par porteurs spéciaux.

L’équipe entomologie termine ses travaux sur le quatrième et dernier site de la partie haute du transect, à 2 200 m, au lieu-dit Sinopas (ou Snow pass, en anglais, en référence au ciel toujours bouché de nuages blancs comme neige à cet endroit). Ici règne le clan des Mendi, avec trois tribus et environ un millier d’âmes. C’est dans une de ces tribus que le camp est établi, plutôt plus confortable que celui à 2 700 m, qui n’a pas supporté le poids des hamacs dans la nuit du 21. Cela dit, le « room service » fut d’une efficacité exemplaire. Des poteaux furent taillés et promptement transformés en étais pour venir renforcer la structure de l’abri.

Une des rares matinées sans nuages nous offre une vue globale sur la chaîne du Mont Wilhelm depuis le camp à 2 200 m. le sommet est la grosse « molaire » au centre de l'image. S'il paraît plus bas que d'autres points hauts, c'est qu'il est situé en arrière plan. Seul le Docteur a eu le courage (et le temps) de grimper au sommet (avec tout les doutes possibles sur les photos qu'il en ramène, cf. billets précédents). Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

À 2 200 m les bestioles sont plus nombreuses. Maurice a trouvé ses premières fourmis dans les arbres, des Pheidoles et des Strumigenys. Elles ne sont pas encore à ranger dans la catégorie « arboricole » (qui niche dans les arbres) mais récompensent les efforts de M. et sa méthode de pêche aux fourmis à l’aide de cordelettes munies d’appâts (thon et miel) qu'il place sur les grands arbres avec un lance-pierre taille XXL. Jérôme a aussi piégé des fourmis au sol et dans les arbustes (de la même sous-famille des Myrmicines, mais le genre n’est pas identifié) avec de la fiente de poulet (apportée spécialement de Guyane sous forme déshydratée : tout bon entomologiste est un grand maniaque dans le choix et la qualité de ses appâts). Le troisième larron à s'intéresser aux fourmis est Tom, et lui aussi brandit des fourmis tombées dans ses « pitfall traps », mais il n'est pas sûr que ce soient les mêmes que celles des deux autres. Je les encourage à parler plus entre eux.



Jérôme Orivel (CNRS) trie ses flacons remplis de fiente de poulet sur la table (la seule) du camp à 2 200, au milieu des victuailles et sous le regard courroucé de Yves Roisin (ULB, Belgique) alors que Tom Fayle (notre anglais post-doctorant) préfère détourner le regard devant tant de sans-gène. Shocking. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 

Fred annonce une diversité en blattes plus importante que sur les sites précédents : une seule espèce à 3 700 m contre une douzaine d’espèces à 2 200 m (c’est étonnant comme l'on peut se passionner pour les blattes lorsque l’on dort, mange et vit avec des entomologistes depuis 15 jours). Son camarade de cordée dans la quête d'un groupe apparenté aux Blattes, Yves Roisin, est bredouille : toujours pas de termites. Ces « blattes sociales », comme Fred les surnomme, ont apparemment un métabolisme qui ne tolère pas ces altitudes et malgré l’énergie que met Yves à transformer en pâte à papier tout le bois mort qu'il trouve avec sa hachette, il n'en a pas vu la queue d'une. Quant à Tony, même s’il engrange tout ce qui lui tombe dans l'épuisette, il ronge son frein et attend les altitudes plus basses pour mettre la main sur « sa » sous-famille de grillon, les Eneopterinae.

La forêt, que certains entomologistes ont tendance à oublier ou à ne pas voir, l’œil rivé sur leurs bêtes millimétriques, est somptueuse. Le relief, très découpé, n’aide pas aux déplacements (la trilogie glissade, gamelle et gadin réunie en un volume) mais contribue à en offrir des vues spectaculaires. Ici, comme au site à 2 700 m, les grands Pandanus en sont la marque. Quelques palmiers apparaissent dans le sous-bois, alors qu'ils étaient absents au-dessus de 3 000 m. Mais c’est les mousses qui signent ces forêts de moyenne altitude. Parures en guirlande sur les branches tendues à l’horizontale des grands arbres ou en boules massives sur les troncs et sur les charpentières dressées.






Forêt de brouillard à 2200m. Les Pandanus (au deuxième plan, derrière les fougères) sont partout présents dans le sous-bois. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Dans le maquis de haute altitude, les mousses recouvraient les moindres recoins, donnant au décor végétal un aspect aquatique, rappelant les draperies d’algues qui se développent sur le bois mort des fonds d’eaux stagnantes ou évoquant même une gigantesque moisissure. Ici, les mousses sont des ornements et la forêt est proche de la perfection esthétique et magique de celle des contes de fée.



Robert Colwell dans la forêt magique à 2 200 m. Copyright : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


De la pluie, encore et toujours, malgré quelques éclaircies bienvenues pour dégringoler du 2 700 au 2 200. Améliorer le moral de la troupe et éviter la déroute qu'entraînerait fatalement un climat déprimant, voilà le souci du cantinier. Fi de la contrainte budgétaire ! Le 22 octobre au matin, je commande officiellement un cochon. Rapide conciliabule entre les villageois installés à demeure au camp du 2 700 (et qui participent sympathiquement au pillage des vivres), suivi d’une décision tout aussi prompte d’acheter « sur catalogue » un cochon qui viendrait de Kegsugl.

Après une après-midi d’angoisse sur les délais de livraison, le cochon, ou plutôt la truie, immédiatement baptisée Georgette, montre son groin à la nuit tombante. Trop tard pour le transformer recta en souper et la décision est prise de l’acheminer au prochain camp tenue en laisse, pedibus cum jambis. Décision malheureuse : au réveil, le 23, Maurice m’annonce, gêné, que la bête doit être sacrifiée ici même. Un homme est mort la veille dans les environs et l’arrivée du cochon depuis Simbu n’est certainement pas une coïncidence. Pas de négociation possible, le cochon doit être tué en guise de compensation, ici et tout de suite. Georgette est envoyée ad patres au gourdin, ses poils brûlés et c’est coupée en quatre et dans un sac qu'elle voyagera jusqu’à Sinopas. Arrivée à 2 200 m, les filets sont préparés par John Borié dans la maison de Margaret avec des oignons et de la sauce soja, et les quatre cuissots selon la méthode de cuisson à la pierre chaude (Mumu).



John, le Chief Cook du camp à 2200m, nous prépare les filets mignons de Georgette-la-truie à la mode Mendi, dans la maison de Margaret. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 


Les sourires reviennent. Je l’ai déjà dit ailleurs, mais j’insiste : un scientifique sur le terrain ? Nourrissez-le correctement et vous en ferez ce que vous voulez. Un bémol cependant, un repas trop sophistiqué peut vite tourner au sujet de thèse, voire à la rédaction d’une demande de bourse à l’Agence Nationale de la Recherche. Exemple : hier soir, John nous a procuré des œufs d’une taille intrigante, près de 9 cm dans la hauteur. L’omelette n’était pas consommée que l’enquête sur la potentielle pondeuse était quasi bouclée. Interview croisée des habitants et vérification sur Google avec l’Iphone de Robert : photos des mégapodes – la famille de l’émeu, de l’autruche et autres volatiles de cet acabit – à l’appui, nos scientifiques hésitent entre la « Black-billed Brush Turkey » (Talegalla fuscirostris) et la « Brown-collared Brush Turkey » (Talegalla jobiensis). John maintient que c’est la « Black-billed », mais son aire de distribution (la moitié sud des Highlands) ne colle pas avec une autre affirmation de John, à savoir que les oeufs proviennent de la « hot place », donc des basses altitudes, ce qui correspond mieux à la distribution de la « Brown-collared » dans la vallée de la Sépik - Ramu. Frustré, Robert promet de continuer l’enquête et de se renseigner sur la couleur des œufs de l’une et l’autre. Ceux que nous avons finalement mangés étaient d’un blanc pur, comme le ciel de Sinopas.

À propos de nourriture, je m’aperçois que les botanistes, au camp de 3 200 m à l’heure où j’écris, n’ont pas bénéficié de ces largesses culinaires. Je demande aux familles ou amis, si par hasard ils lisent ce billet, de ne pas vendre la mèche ni se plaindre de ce régime à deux vitesses. Je jure qu’une autre Georgette, ou un Jean-Louis, ou n’importe quel autre porc sera bientôt au menu de l’équipe restée en arrière, d’autant que je les rejoindrai bientôt et que votre serviteur, s’il ne déteste pas se plaindre (bis), déteste encore moins la nourriture, surtout le cochon.



Cuisson de Georgette-la-truie, méthode de la pierre chaude (Mumu). Camp à 2 200 m. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD



Deux compagnons ont quitté le groupe aujourd’hui. Léonidas Cambanis et Robert Colwell vont nous manquer pour la suite de l’aventure ; ils ont participé à tout, aidés tout le monde avec une humeur toujours au beau fixe. Le grand bal des « va-et-vient » continue, avec demain l’arrivée des derniers membres de l’équipe « Mont Wilhelm » (Noui Baiben, le deuxième grimpeur et deux journalistes de l’agence Cargo) et le transfert de l’équipe botanique depuis Betty jusqu’à Mondiapas. Des dizaines de porteurs encore sollicités à différents endroits. J’ai renoncé à en tenir le compte. C’est de toute façon inutile, les montagnards, qu’ils soient « Simbu » ou « Madang » sont toujours là pour nous aider.
Olivier Pascal, Sinopas, le 25 Octobre 2012.

mardi, octobre 23 2012

Équipes itinérantes et téléphonie mobile

La pluie s’est arrêtée. Vojtech continue à nous inonder de SMS. On l’imagine en Ernst Stavro Blofeld, caressant son chat de sa main pâle, terré dans la base secrète du Spectre à Nagada Harbour (Madang) et lançant des ordres à ses hommes de main aux quatre coins du Mont Wilhelm pour accomplir un projet criminel de grande envergure. Allez comprendre pourquoi, le plan comprendrait, notamment, l’éradication de tous les insectes entre Kegsugl et le sommet de la dite montagne.

Lever du jour esthétique mais menaçant. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

Les téléphones portables crépitent sans arrêt, au milieu de nulle part, dans une forêt de fougères arborescentes, et fonctionnent mieux que dans le métro parisien, sans parler des Cévennes, pays de grande misère, s’il en est, pour la téléphonie mobile. Il est temps d’aborder le sujet de la communication pour cette expédition. C’est à se demander si une telle opération aurait tout simplement pu avoir lieu sans le téléphone dit « cellulaire ». 

La vallée des fougères arborescentes, 3200 m, Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD                                  












Cet objet nous est au moins aussi précieux que la pipette, la loupe binoculaire, l’aspirateur à bouche, ou tout autre matériel scientifique plus ou moins sophistiqué. L’organisation entière, mais aussi le tempo des expériences et des piégeages en forêt, reposent sur ce moyen de communication.

Chaque Parataxonomiste en est muni et se doit, tous les jours, d’exécuter à la lettre, ou plutôt au texto, les consignes plus ou moins faciles à décoder ou à appliquer : ne pas trop remplir les Whirlpacks d’éthanol, prendre garde au danger de tel ou tel insecticide, tenir compte des indications sur les dilutions nécessaires pour augmenter la performance des Fruitfly traps, etc. Le portable est, pour l’expédition, notre version moderne de l’estafette.



Sam Legi
Sam Legi, co-responsabe de l'équipe itinérante d'entomologistes. Souvent étonné du comportement des 'whitemen', mais toujours de bonne humeur. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

                                                                                             

Chacun peut maintenant comprendre l’importance des générateurs pour recharger ces téléphones en quantité invraisemblable. Je rassure ici tous les lecteurs qui suivent ce blog afin d’abréger une angoisse insupportable : l’huile « 2 temps » est enfin arrivée. 

Moins essentielle, mais utile pour communiquer à plus longue distance, la clé 3G. Elle nous permet de charger les messages électroniques plus ou moins superflus (maudits soient ceux qui m’envoient des pièces jointes de plusieurs mégapixels). Elle me permet aussi d’expédier ces lignes dans des conditions improbables. Le dernier billet et les quelques photos d’illustrations ont été envoyés depuis un point haut à 3 500 m, sous une pluie battante (merci à Leonidas qui s’occupait du parapluie) en tenant l’ordinateur à bout de bras, orienté vers une invisible antenne relais. Une bordée de messages, comme une offrande à la vallée perdue située en dessous, qui a mis un temps infini à partir.

J’en profite pour remercier une amie très chère du Docteur Cyril Chevalier, qui semble apprécier ces quelques nouvelles de l’expédition. Il n’a pas voulu me dire son nom. J’en profite aussi pour faire part d’une découverte importante à son sujet et qui a provoqué un grand soulagement pour tous les membres masculins de l’expédition : le docteur a un défaut. Il est certes beau, grand, fort et riche, mais il est nul en photographie. Je le cite : « Vos ISO et les sensibilités de b***** de m****, j’y comprends que dalle ». La prochaine fois, il n’aura qu’à me dire le nom de sa copine.

Reprenons le cours des évènements. Le 17 octobre, nous avions laissé l’équipe d’entomologie descendre vers le camp situé à 3 200 m sous une pluie « patagonienne ». Ça n’a pas loupé, ils ont passé une sale nuit. Refroidissement, vomissement, rien de bien terrible pour les corps, mais pénible pour les esprits. Améliorer l’ordinaire n’est pas chose facile dans ces montagnes, mais Roland, sensible aux gémissements de Maurice au téléphone (encore lui) a organisé l’envoi de matelas mousse, couvertures, rouleaux de plastique pour rendre le camp du 3 200 plus vivable. Le 18, le moral ayant fait un bon spectaculaire en direction du meilleur, tout le monde est parti travailler en forêt en sifflotant. Nos sept petits nains, héroïques, ont aussi découvert, en revenant du travail dans l’après-midi du 19, les bienfaits du Brandy et du Gin, qui faisaient partie de la « mallette de secours » envoyée par notre bon Saint Bernard. Par respect pour les familles et les lecteurs en bas âge, je resterai discret sur le reste de cette journée. Pour des détails, appelez Thérèse, la mère de Xavier, elle est au courant.

Le camp (vivement les photos des installations de la partie marine de l'expédition, que l'on puisse comparer) à 3200 m, Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

Les opérations de l’équipe d’entomologie terminées à 3 700 m et 3 200 m ( je parle des travaux de l’équipe itinérante, quatre Parataxonomistes et leurs assistants continuent encore à travailler à ces altitudes jusqu'au 2 novembre, sous le feu nourri des SMS de Vojtech-Blomfeld-Novotny ), celles de l’équipe botanique peuvent commencer à ces deux altitudes. Le croisement des deux équipes s’est opéré aujourd'hui, le 20 octobre : les entomologistes retrouvent chez Betty, à Kegsugl, les botanistes Jérôme Munzinger, Jean-François Molino et Jean-Cristophe Pintaud de l’IRD, Kipiro Damas du Forest Research Institute (Lae), Kenneth Molem et Hans Nowatuo du BRC et un étudiant en pédologie Clant Alok, qui sont arrivés la veille de Lae où ils ont passé une semaine dans l’Herbier national. C’est le seul jour, en dehors du dernier site à 200 m d’altitude dans la plaine de la Ramu, où ces deux équipes sont réunies sur le Mont Wilhelm, l’une poursuivant l’autre à deux ou trois jours d’intervalle. Ça valait bien une photo.


Les deux équipes itinérantes, entomologie et botanique, réunies à 2600 m. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Après un festin carné et une douche chaude, deux voitures convoient nos entomologistes requinqués vers Mondiapas, pour ensuite marcher jusqu’au site situé à 2 700 m. Demain, les botanistes prendront le chemin du 3 700. L’aventure des fluides continue cependant et je crains pour le lecteur sensible de devoir subir dans les prochains jours un autre épisode d’angoisse et de suspens : l’éthanol, qui sert à préserver les échantillons de plantes, ne semble pas être arrivé au 3 700 et au 3 200 ; et tout le Brandy de Kundiawa n’y changera rien : pas assez titré pour un botaniste.

Dernière minute : Laurent Pierron, l’un des deux grimpeurs de l’équipe, vient d’arriver à Kegsugl, après quelques soucis d’avion annulé. Juste à temps pour grimper dans le train de l’équipe de botanistes.

Olivier Pascal, futur actionnaire chez DIGICEL.

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