Mot-clé - Papouasie-Nouvelle-Guinée

Fil des billets

jeudi, octobre 25 2012

Science et autres recettes à 2200m

Autant, et sans doute pour les mêmes raisons obscures que les O’Timmins et O’Hara, les « Simbu » et les « Madang » se détestent. Franchir le col de Mondiapas, c’est passer d’une province à une autre, mais aussi franchir la ligne de démarcation entre des groupes aux langues différentes – les « Simbu » parlent le Gende et les « Madang » le Kuman -  qui se battent régulièrement pour la possession de cette passe qui n’a, a priori, rien de stratégique, du moins d’un point de vue géographique. 

Nous sommes désormais installés chez les « Madang » dans la province éponyme, et ce jusqu’à Brahmin, le dernier village en bordure de la plaine de la rivière Ramu. Les Botanistes sont eux au 3 200, leur problème d’éthanol est résolu mais est survenu entre-temps une pénurie de papier journal (pour presser les échantillons de plantes). Les téléphones ont sonné dans tous les sens et Roland est parti en chasse de ce précieux consommable à Kundiawa (la qualité qui se fume, pas celle qui se lit, beaucoup plus chère) et une pile de 90 Kg leur a été livrée par porteurs spéciaux.

L’équipe entomologie termine ses travaux sur le quatrième et dernier site de la partie haute du transect, à 2 200 m, au lieu-dit Sinopas (ou Snow pass, en anglais, en référence au ciel toujours bouché de nuages blancs comme neige à cet endroit). Ici règne le clan des Mendi, avec trois tribus et environ un millier d’âmes. C’est dans une de ces tribus que le camp est établi, plutôt plus confortable que celui à 2 700 m, qui n’a pas supporté le poids des hamacs dans la nuit du 21. Cela dit, le « room service » fut d’une efficacité exemplaire. Des poteaux furent taillés et promptement transformés en étais pour venir renforcer la structure de l’abri.

Une des rares matinées sans nuages nous offre une vue globale sur la chaîne du Mont Wilhelm depuis le camp à 2 200 m. le sommet est la grosse « molaire » au centre de l'image. S'il paraît plus bas que d'autres points hauts, c'est qu'il est situé en arrière plan. Seul le Docteur a eu le courage (et le temps) de grimper au sommet (avec tout les doutes possibles sur les photos qu'il en ramène, cf. billets précédents). Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

À 2 200 m les bestioles sont plus nombreuses. Maurice a trouvé ses premières fourmis dans les arbres, des Pheidoles et des Strumigenys. Elles ne sont pas encore à ranger dans la catégorie « arboricole » (qui niche dans les arbres) mais récompensent les efforts de M. et sa méthode de pêche aux fourmis à l’aide de cordelettes munies d’appâts (thon et miel) qu'il place sur les grands arbres avec un lance-pierre taille XXL. Jérôme a aussi piégé des fourmis au sol et dans les arbustes (de la même sous-famille des Myrmicines, mais le genre n’est pas identifié) avec de la fiente de poulet (apportée spécialement de Guyane sous forme déshydratée : tout bon entomologiste est un grand maniaque dans le choix et la qualité de ses appâts). Le troisième larron à s'intéresser aux fourmis est Tom, et lui aussi brandit des fourmis tombées dans ses « pitfall traps », mais il n'est pas sûr que ce soient les mêmes que celles des deux autres. Je les encourage à parler plus entre eux.



Jérôme Orivel (CNRS) trie ses flacons remplis de fiente de poulet sur la table (la seule) du camp à 2 200, au milieu des victuailles et sous le regard courroucé de Yves Roisin (ULB, Belgique) alors que Tom Fayle (notre anglais post-doctorant) préfère détourner le regard devant tant de sans-gène. Shocking. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 

Fred annonce une diversité en blattes plus importante que sur les sites précédents : une seule espèce à 3 700 m contre une douzaine d’espèces à 2 200 m (c’est étonnant comme l'on peut se passionner pour les blattes lorsque l’on dort, mange et vit avec des entomologistes depuis 15 jours). Son camarade de cordée dans la quête d'un groupe apparenté aux Blattes, Yves Roisin, est bredouille : toujours pas de termites. Ces « blattes sociales », comme Fred les surnomme, ont apparemment un métabolisme qui ne tolère pas ces altitudes et malgré l’énergie que met Yves à transformer en pâte à papier tout le bois mort qu'il trouve avec sa hachette, il n'en a pas vu la queue d'une. Quant à Tony, même s’il engrange tout ce qui lui tombe dans l'épuisette, il ronge son frein et attend les altitudes plus basses pour mettre la main sur « sa » sous-famille de grillon, les Eneopterinae.

La forêt, que certains entomologistes ont tendance à oublier ou à ne pas voir, l’œil rivé sur leurs bêtes millimétriques, est somptueuse. Le relief, très découpé, n’aide pas aux déplacements (la trilogie glissade, gamelle et gadin réunie en un volume) mais contribue à en offrir des vues spectaculaires. Ici, comme au site à 2 700 m, les grands Pandanus en sont la marque. Quelques palmiers apparaissent dans le sous-bois, alors qu'ils étaient absents au-dessus de 3 000 m. Mais c’est les mousses qui signent ces forêts de moyenne altitude. Parures en guirlande sur les branches tendues à l’horizontale des grands arbres ou en boules massives sur les troncs et sur les charpentières dressées.






Forêt de brouillard à 2200m. Les Pandanus (au deuxième plan, derrière les fougères) sont partout présents dans le sous-bois. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Dans le maquis de haute altitude, les mousses recouvraient les moindres recoins, donnant au décor végétal un aspect aquatique, rappelant les draperies d’algues qui se développent sur le bois mort des fonds d’eaux stagnantes ou évoquant même une gigantesque moisissure. Ici, les mousses sont des ornements et la forêt est proche de la perfection esthétique et magique de celle des contes de fée.



Robert Colwell dans la forêt magique à 2 200 m. Copyright : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


De la pluie, encore et toujours, malgré quelques éclaircies bienvenues pour dégringoler du 2 700 au 2 200. Améliorer le moral de la troupe et éviter la déroute qu'entraînerait fatalement un climat déprimant, voilà le souci du cantinier. Fi de la contrainte budgétaire ! Le 22 octobre au matin, je commande officiellement un cochon. Rapide conciliabule entre les villageois installés à demeure au camp du 2 700 (et qui participent sympathiquement au pillage des vivres), suivi d’une décision tout aussi prompte d’acheter « sur catalogue » un cochon qui viendrait de Kegsugl.

Après une après-midi d’angoisse sur les délais de livraison, le cochon, ou plutôt la truie, immédiatement baptisée Georgette, montre son groin à la nuit tombante. Trop tard pour le transformer recta en souper et la décision est prise de l’acheminer au prochain camp tenue en laisse, pedibus cum jambis. Décision malheureuse : au réveil, le 23, Maurice m’annonce, gêné, que la bête doit être sacrifiée ici même. Un homme est mort la veille dans les environs et l’arrivée du cochon depuis Simbu n’est certainement pas une coïncidence. Pas de négociation possible, le cochon doit être tué en guise de compensation, ici et tout de suite. Georgette est envoyée ad patres au gourdin, ses poils brûlés et c’est coupée en quatre et dans un sac qu'elle voyagera jusqu’à Sinopas. Arrivée à 2 200 m, les filets sont préparés par John Borié dans la maison de Margaret avec des oignons et de la sauce soja, et les quatre cuissots selon la méthode de cuisson à la pierre chaude (Mumu).



John, le Chief Cook du camp à 2200m, nous prépare les filets mignons de Georgette-la-truie à la mode Mendi, dans la maison de Margaret. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 


Les sourires reviennent. Je l’ai déjà dit ailleurs, mais j’insiste : un scientifique sur le terrain ? Nourrissez-le correctement et vous en ferez ce que vous voulez. Un bémol cependant, un repas trop sophistiqué peut vite tourner au sujet de thèse, voire à la rédaction d’une demande de bourse à l’Agence Nationale de la Recherche. Exemple : hier soir, John nous a procuré des œufs d’une taille intrigante, près de 9 cm dans la hauteur. L’omelette n’était pas consommée que l’enquête sur la potentielle pondeuse était quasi bouclée. Interview croisée des habitants et vérification sur Google avec l’Iphone de Robert : photos des mégapodes – la famille de l’émeu, de l’autruche et autres volatiles de cet acabit – à l’appui, nos scientifiques hésitent entre la « Black-billed Brush Turkey » (Talegalla fuscirostris) et la « Brown-collared Brush Turkey » (Talegalla jobiensis). John maintient que c’est la « Black-billed », mais son aire de distribution (la moitié sud des Highlands) ne colle pas avec une autre affirmation de John, à savoir que les oeufs proviennent de la « hot place », donc des basses altitudes, ce qui correspond mieux à la distribution de la « Brown-collared » dans la vallée de la Sépik - Ramu. Frustré, Robert promet de continuer l’enquête et de se renseigner sur la couleur des œufs de l’une et l’autre. Ceux que nous avons finalement mangés étaient d’un blanc pur, comme le ciel de Sinopas.

À propos de nourriture, je m’aperçois que les botanistes, au camp de 3 200 m à l’heure où j’écris, n’ont pas bénéficié de ces largesses culinaires. Je demande aux familles ou amis, si par hasard ils lisent ce billet, de ne pas vendre la mèche ni se plaindre de ce régime à deux vitesses. Je jure qu’une autre Georgette, ou un Jean-Louis, ou n’importe quel autre porc sera bientôt au menu de l’équipe restée en arrière, d’autant que je les rejoindrai bientôt et que votre serviteur, s’il ne déteste pas se plaindre (bis), déteste encore moins la nourriture, surtout le cochon.



Cuisson de Georgette-la-truie, méthode de la pierre chaude (Mumu). Camp à 2 200 m. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD



Deux compagnons ont quitté le groupe aujourd’hui. Léonidas Cambanis et Robert Colwell vont nous manquer pour la suite de l’aventure ; ils ont participé à tout, aidés tout le monde avec une humeur toujours au beau fixe. Le grand bal des « va-et-vient » continue, avec demain l’arrivée des derniers membres de l’équipe « Mont Wilhelm » (Noui Baiben, le deuxième grimpeur et deux journalistes de l’agence Cargo) et le transfert de l’équipe botanique depuis Betty jusqu’à Mondiapas. Des dizaines de porteurs encore sollicités à différents endroits. J’ai renoncé à en tenir le compte. C’est de toute façon inutile, les montagnards, qu’ils soient « Simbu » ou « Madang » sont toujours là pour nous aider.
Olivier Pascal, Sinopas, le 25 Octobre 2012.

mardi, octobre 23 2012

Équipes itinérantes et téléphonie mobile

La pluie s’est arrêtée. Vojtech continue à nous inonder de SMS. On l’imagine en Ernst Stavro Blofeld, caressant son chat de sa main pâle, terré dans la base secrète du Spectre à Nagada Harbour (Madang) et lançant des ordres à ses hommes de main aux quatre coins du Mont Wilhelm pour accomplir un projet criminel de grande envergure. Allez comprendre pourquoi, le plan comprendrait, notamment, l’éradication de tous les insectes entre Kegsugl et le sommet de la dite montagne.

Lever du jour esthétique mais menaçant. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

Les téléphones portables crépitent sans arrêt, au milieu de nulle part, dans une forêt de fougères arborescentes, et fonctionnent mieux que dans le métro parisien, sans parler des Cévennes, pays de grande misère, s’il en est, pour la téléphonie mobile. Il est temps d’aborder le sujet de la communication pour cette expédition. C’est à se demander si une telle opération aurait tout simplement pu avoir lieu sans le téléphone dit « cellulaire ». 

La vallée des fougères arborescentes, 3200 m, Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD                                  












Cet objet nous est au moins aussi précieux que la pipette, la loupe binoculaire, l’aspirateur à bouche, ou tout autre matériel scientifique plus ou moins sophistiqué. L’organisation entière, mais aussi le tempo des expériences et des piégeages en forêt, reposent sur ce moyen de communication.

Chaque Parataxonomiste en est muni et se doit, tous les jours, d’exécuter à la lettre, ou plutôt au texto, les consignes plus ou moins faciles à décoder ou à appliquer : ne pas trop remplir les Whirlpacks d’éthanol, prendre garde au danger de tel ou tel insecticide, tenir compte des indications sur les dilutions nécessaires pour augmenter la performance des Fruitfly traps, etc. Le portable est, pour l’expédition, notre version moderne de l’estafette.



Sam Legi
Sam Legi, co-responsabe de l'équipe itinérante d'entomologistes. Souvent étonné du comportement des 'whitemen', mais toujours de bonne humeur. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

                                                                                             

Chacun peut maintenant comprendre l’importance des générateurs pour recharger ces téléphones en quantité invraisemblable. Je rassure ici tous les lecteurs qui suivent ce blog afin d’abréger une angoisse insupportable : l’huile « 2 temps » est enfin arrivée. 

Moins essentielle, mais utile pour communiquer à plus longue distance, la clé 3G. Elle nous permet de charger les messages électroniques plus ou moins superflus (maudits soient ceux qui m’envoient des pièces jointes de plusieurs mégapixels). Elle me permet aussi d’expédier ces lignes dans des conditions improbables. Le dernier billet et les quelques photos d’illustrations ont été envoyés depuis un point haut à 3 500 m, sous une pluie battante (merci à Leonidas qui s’occupait du parapluie) en tenant l’ordinateur à bout de bras, orienté vers une invisible antenne relais. Une bordée de messages, comme une offrande à la vallée perdue située en dessous, qui a mis un temps infini à partir.

J’en profite pour remercier une amie très chère du Docteur Cyril Chevalier, qui semble apprécier ces quelques nouvelles de l’expédition. Il n’a pas voulu me dire son nom. J’en profite aussi pour faire part d’une découverte importante à son sujet et qui a provoqué un grand soulagement pour tous les membres masculins de l’expédition : le docteur a un défaut. Il est certes beau, grand, fort et riche, mais il est nul en photographie. Je le cite : « Vos ISO et les sensibilités de b***** de m****, j’y comprends que dalle ». La prochaine fois, il n’aura qu’à me dire le nom de sa copine.

Reprenons le cours des évènements. Le 17 octobre, nous avions laissé l’équipe d’entomologie descendre vers le camp situé à 3 200 m sous une pluie « patagonienne ». Ça n’a pas loupé, ils ont passé une sale nuit. Refroidissement, vomissement, rien de bien terrible pour les corps, mais pénible pour les esprits. Améliorer l’ordinaire n’est pas chose facile dans ces montagnes, mais Roland, sensible aux gémissements de Maurice au téléphone (encore lui) a organisé l’envoi de matelas mousse, couvertures, rouleaux de plastique pour rendre le camp du 3 200 plus vivable. Le 18, le moral ayant fait un bon spectaculaire en direction du meilleur, tout le monde est parti travailler en forêt en sifflotant. Nos sept petits nains, héroïques, ont aussi découvert, en revenant du travail dans l’après-midi du 19, les bienfaits du Brandy et du Gin, qui faisaient partie de la « mallette de secours » envoyée par notre bon Saint Bernard. Par respect pour les familles et les lecteurs en bas âge, je resterai discret sur le reste de cette journée. Pour des détails, appelez Thérèse, la mère de Xavier, elle est au courant.

Le camp (vivement les photos des installations de la partie marine de l'expédition, que l'on puisse comparer) à 3200 m, Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD

Les opérations de l’équipe d’entomologie terminées à 3 700 m et 3 200 m ( je parle des travaux de l’équipe itinérante, quatre Parataxonomistes et leurs assistants continuent encore à travailler à ces altitudes jusqu'au 2 novembre, sous le feu nourri des SMS de Vojtech-Blomfeld-Novotny ), celles de l’équipe botanique peuvent commencer à ces deux altitudes. Le croisement des deux équipes s’est opéré aujourd'hui, le 20 octobre : les entomologistes retrouvent chez Betty, à Kegsugl, les botanistes Jérôme Munzinger, Jean-François Molino et Jean-Cristophe Pintaud de l’IRD, Kipiro Damas du Forest Research Institute (Lae), Kenneth Molem et Hans Nowatuo du BRC et un étudiant en pédologie Clant Alok, qui sont arrivés la veille de Lae où ils ont passé une semaine dans l’Herbier national. C’est le seul jour, en dehors du dernier site à 200 m d’altitude dans la plaine de la Ramu, où ces deux équipes sont réunies sur le Mont Wilhelm, l’une poursuivant l’autre à deux ou trois jours d’intervalle. Ça valait bien une photo.


Les deux équipes itinérantes, entomologie et botanique, réunies à 2600 m. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Après un festin carné et une douche chaude, deux voitures convoient nos entomologistes requinqués vers Mondiapas, pour ensuite marcher jusqu’au site situé à 2 700 m. Demain, les botanistes prendront le chemin du 3 700. L’aventure des fluides continue cependant et je crains pour le lecteur sensible de devoir subir dans les prochains jours un autre épisode d’angoisse et de suspens : l’éthanol, qui sert à préserver les échantillons de plantes, ne semble pas être arrivé au 3 700 et au 3 200 ; et tout le Brandy de Kundiawa n’y changera rien : pas assez titré pour un botaniste.

Dernière minute : Laurent Pierron, l’un des deux grimpeurs de l’équipe, vient d’arriver à Kegsugl, après quelques soucis d’avion annulé. Juste à temps pour grimper dans le train de l’équipe de botanistes.

Olivier Pascal, futur actionnaire chez DIGICEL.

vendredi, octobre 19 2012

Le planning idéal et la réalité du terrain... : regrouper l'équipe botanique

Sur le papier c'était au départ très simple, nous devions partir de Lae à 8 h, retrouver à Goroka Kenneth, et Clant arrivant de Madang par car (arrivée prévue vers 14 h -15 h) et Laurent arrivant de France (Via Brisbane et Port Moresby) à 16 h 30.

Reste qu'une donnée avait été  négligée : éviter de rouler la nuit autant que possible. Or avec une arrivée de Laurent prévue à 16 h 30, et deux à trois heures de route entre Goroka et Kundiawa cela devenait compliqué.

À cela s'ajoutaient deux variables aléatoires : AirNiugini et les transports publics, et une variable incertaine : la taille du véhicule « 10 places » que nous avions réservées. 



Dans le véhicule 10 places… Crédit : Jérôme Munzinger/ MNHN / PNI / IRD



Au final, nous sommes partis à 10 h de Lae (chauffeur en retard), le véhicule était déjà plein alors que nous n'étions que 4 dedans (10 places assises mais alors plus de place pour les sacs), et nos collègues que nous avions au téléphone régulièrement devaient arriver à 1 7h à Goroka. Nous avons appris en chemin que Laurent avait raté son avion à Port Moresby et n'arriverait que le lendemain Nous avons finalement décidé de continuer seuls vers Kundiawa, nos collègues dormant alors à Goroka et prenant le minibus prévu pour Laurent le lendemain. 

La partie du chemin la plus intéressante fut sans doute Goroka-Kundiawa, particulièrement mauvaise, notre chauffeur étant pressé d'arriver avant la nuit et ne ménageant pas notre dos. Reste que ledit chauffeur (d'une entreprise de transport) n'avait pas son permis à jour (on l'attendait pas celle-là !), ce que nous avons découvert au premier barrage policier, aïe : longue palabre... Puis le deuxième barrage policier : re-longue palabre... On ne voulait pas rouler de nuit, mais un barrage policier c'est chronophage, combien y a-t-il de barrages sur cette route ? Finalement ce sera le dernier et nous arrivons à temps.



























Sur la route entre Lae et Goroka. Crédit : Jérôme Munzinger/ MNHN / PNI / IRD


Nous découvrons alors le gîte très confortable de Kundiawa, et Roland essayant de gérer l'appel au secours de nos collègues à 3 200m. Il pleut là-haut et il fait très froid, il leur envoie d'urgence des couvertures, bâches, clous pour essayer d'améliorer le camp de fortune (hamacs). Nous montons dans quelques heures, nous allons voir si nous trouvons des gants, écharpes, au cas où...

Profitons de la douche bien chaude, c'est la dernière avant un moment !

Mont Wilhelm, nous voilà !

jeudi, octobre 18 2012

Un bout de journal sur les 3 jours au camp de 3700m, pour office de billet…

« Hi all, now is 2nd day of sampling : open 10 FIT traps (group B), take samples from 4 Malaise, 5 fruitfly 3 baited traps, take no action for 10 FIT group A. V. »

Traduction : « Salut à tous, c'est à présent le deuxième jour d’échantillonnage : ouvrir 10 pièges FIT (groupe B), prendre les échantillons de 4 pièges Malaise, 5 pièges à mouche à fruit, 3 pièges à appâts, ne rien faire concernant les 10 FIT du groupe A.V. »

« Hi all, traps must be opened for sampling and you must take samples according to Schedule even if it rains, only beating and Barkspray wait for good weather. V. »

Traduction : « Salut à tous, les pièges doivent être ouverts pour l'échantillonnage et vous devez collecter les échantillons en respectant le programme même s'il pleut, seuls le battage et l'épandage d'insecticide sur les écorces attendront le beau temps. V. »

Deux SMS reçus de Vojtech Novotny le 17 octobre. C’est le genre de message laconique que chaque site reçoit du grand ordonnateur depuis Madang, où il doit faire 30°C. Ils sont sans doute cryptés pour le lecteur, mais dans le second, même le néophyte pourra voir percer l’injonction de se coller au boulot malgré les conditions météorologiques.

Forêt dans le brouillard à 3700m, Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD



Quand je reçois ces messages sur mon téléphone dont la batterie faiblit – l’huile 2 temps du générateur a été oubliée dans une voiture et est repartie vers Madang et l’on vient juste d’en recevoir quelques litres de Kundiawa – il pleut, quasiment sans discontinuer, depuis 2 jours et l’équipe « Entomologie » se prépare à descendre au 3200 sous une averse drue et glaciale.

L'équipe entomologie reflue en bon ordre sous la pluie des parcelles à 3700m : Xavier Desmier, le photographe, en tête pour mettre hors d'eau son matériel. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD




Nous pouvons désormais recharger nos batteries, c’est l’occasion de donner des nouvelles. Revenons sur ces trois journées du 15, 16 et 17 octobre.

15 oct. 2012. L’ascension vers le plus haut site d’étude n’a pas fait de victimes. Après un début de montée pénible, le maquis épais s’ouvre sur une étrange coulée herbeuse piquetée de fougères arborescentes. Dans cette vallée étroite, bordée de forêts moussues, où l’on s’attend à voir surgir n’importe quel animal du Jurassique, est dressé le camp de 3200 m. Tour rapide du propriétaire ; quelques craintes sur la solidité des montants de l’abri qui devra supporter les hamacs dans trois jours, mais c’est du temporaire et nos papous n’ont eu que deux jours et demi pour construire ce trois « pièces » cuisine intégrée.

Décors du site à 3700m, Mont Wilhelm. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD


Plus haut, une cabane à 3500 m au bord du lac Aunde (c’est drôle comme il faut toujours une cabane au bord d’un lac pour planter un décors) fournit une habitation à la troupe. A la différence des voyageurs solitaires qui choisissent en général ce genre d’ermitage pour penser un peu au monde et beaucoup à eux-mêmes, la notre n’est pas en rondin et nous nous entassons à 14 dans une pièce. Ambiance refuge de haute montagne et papotage sur les intérêts du sous-sac, du sur-sac, de la couverture de survie pour s’isoler du sol. Nos gaillards discutent chiffons.

La cabane au bord du lac Aunde, qui sert d'abri à la troupe à 3500m. Crédits : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 



Un peu avant le repas, on a vu Tom Fayle en caleçon disparaître dans la brume, en petites foulées sautillantes, pour aller au lac faire ses ablutions. Les sceptiques (tous les autres sans exceptions) alignés sous le auvent du toit, engoncés dans leur polaires, se lancent, après des murmures effarés, dans une discussion sur les mœurs anglaises et la tristesse de ne connaître que la mer du Nord. Revenu frigorifié sous les lazzis des Français de l’équipe, Tom a conforté la plupart dans leur idée que l’hygiène n’allait pas être très haut dans la liste des priorités pour les prochains jours.

Il fait 12° à 16 h 00 et personne ne veut savoir quelle température il fera cette nuit. L’équipe est momifiée dans les sacs de couchage. Ce n’est pas forcément comme ça que l’on pense les tropiques et la Papouasie.

18 h 30. Cuisine au gaz, c’est moins rustique qu’anticipé, et bientôt une furieuse odeur de corned-beef revenu dans l’huile envahit la pièce. Chacun s’arrache du duvet ou de ce qui en fait office. Je reste dans le mien.

16 oct. 2012. Levé à 5 h 00, 4°C. Montée le souffle court aux 3 parcelles de 3500. Maurice vérifie l’installation des pièges dans les parcelles, constate qu’ils fonctionnent déjà (quelques diptères et un vague grillon flotte à la surface des bacs en plastiques blancs des FIT (Flight Intercept Trap), il ne faut pas s‘attendre à une activité folle à cette altitude). Il faut les ré-amorcer, annonce Maurice à Bradley, le responsable du site. Nos gars du 3700 ont démarrés trop vite, mais le zèle ne sert à rien en écologie : il faut que tous les pièges des 4 sites soit mis en route au même moment. Coup de fil à Vojtech à Madang pour qu’il transmette aux autres camps que le D-day est bien le 16 et que les bestioles accumulées jusque là iront enrichir l’humus. Tony récupère les grillons. Lui et Frédéric sont sortis cette nuit pour constater que oui, à cette altitude, il n’y a pas que les humains qui ne sont pas complètement dans leur élément.

Maurice Leponce à la manoeuvre dans les parcelles à 3700m. Vérification de l'installation des pièges à insectes avec Bradley, le Parataxonomiste responsable de ce site. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 




Une pluie glaciale accompagne ce premier jour de terrain. Plus maquis que forêt, les troncs grêles sont invisibles, couverts de manchons de mousses et de fougères. Ici, les arbres ont oubliés leurs troncs et les racines se confondent avec les branches. La troupe reflue en bon ordre aux alentours de midi vers la chaleur toute relative de la cabane du lac. Il pleut toute l’après-midi. Le moral baisse comme la température. Chacun essaye de faire bonne figure mais on est tous visiblement misérables. Penchés sur nos bols de soupes chinoises, des troupeaux entiers d’anges passent, et repassent.

La journée du 17 avait bien commencé. Une montée au-dessus des deux lacs glaciaires de 6 h à 10 h avant que le brouillard ne ferme la vallée. A 4000m, Brève vision de la chaîne centrale au loin et sur les deux lacs en contrebas. Un lac surplombant l’autre, les gens d’ici ont nommé Piunde (l’homme) le plus haut et Aunde (la femme) celui du dessous, qui reçoit le trop-plein d’eau du premier. Le machisme est universel mais la connotation est assez réussie.

La chaîne centrale, vers l'Est, qui s'étend jusque vers la frontière avec la partie indonésienne de l'île de Nouvelle Guinée. Crédit : Olivier Pascal / MNHN / PNI / IRD 




L’après-midi, l’équipe entomologie descend prendre ses quartiers au site de 3200, sous une pluie battante où tous espèrent un temps plus indulgent et des SMS de Vojtech plus cléments.

Olivier Pascal, 18 octobre 2012

mercredi, octobre 10 2012

Recette pour un démarrage d’expédition brûlant, sauce Mont Wilhelm

(pour 40 personnes)

- A Kundiawa, conditionnez 1,14 tonne de nourriture en paquets de 15Kg (poids syndical pour les porteurs dans la région).
- Répartissez-les en quatre tas au contenu équivalent, à destination des quatre altitudes de la partie haute du transect du Mont Wilhelm.
- Ajoutez 150Kg de sel (évidemment, ils ont oublié l’éthanol)
Comptez 2 jours.

Roland Fourcaud, logisticien, met en sac plus d'une tonne de nourriture. Le supermarché local (TNA) fournit la main d'oeuvre en prime.
Kundiawa, base arrière de l'expédition terrestre (Mont Wilhelm), le 9 octobre.

Remarque : les quantités pour nourrir 40 invités supplémentaires dans les parties basses (Bundi, Kumi, Brahmin) sont les mêmes, mais les ingrédients viendront de Madang, via la plaine de la Ramu. Une simple variation « côtière » de la recette.

- Trouvez un camion 4x4 pour acheminer ces colis, les stocker à 2800m en attendant l’arrivée des premiers Parataxonomistes du Binatang Research Center qui installeront les camps (dans deux jours si tout va bien).

- On utilisera aussi ce même camion 4x4 pour transporter tout l’équipement scientifique et le matériel destinés aux 4 camps (pesez-en 1,5 tonne).

- Ajoutez quatre ou cinq véhicules Land Cruiser (du simple cabine surtout ! Si l’on veut vous refiler du double, ou pire, de la Station Wagon, changez de fournisseur), 

Arrivée du camion transportant la nourriture au village de Kegsugl, vers 2800m, pour stockage avant portage jusqu'aux différents camps d'altitude (à 3700, 3200, 2700 et 2200m), le 10 octobre 2012. 




- Fourrez les avec les susdits Parataxonomistes, faites monter en crème jusqu’où vous pouvez et finissez à pied avec embauche à la volée de ?… De ?... 186 porteurs ! (Suivez ! Et faites vos calculs, nom de Dieu ! )

C’est la partie difficile de la recette, qui demande à la fois un tour de main, de la vigilance et des ingrédients difficiles à trouver à la supérette du coin. Et cette partie doit être impérativement terminée en une journée.

- Installez les quatre camps, disposez joliment les pièges à insectes dans les parcelles de 20x20m prévues à cet effet (respectez la proportion de un piège Malaise pour deux Fruitfly trap). On ne peux pas toujours tout expliquer ; téléphonez à Maurice Leponce (+675 ** ** ** ** **) pour les détails. Vous avez trois jours, pas un de plus. Quelques commis locaux ne seront pas de trop pour aider en cuisine.

- Espérez très fort que les premiers scientifiques arrivant de l’étranger s’en sortiront à l’aéroport de Port Moresby le 11 octobre (cette recette ne peut pas se faire se faire à n’importe quelle date, vous imaginez une dinde à la Chandeleur et des crêpes à Noël ?).

- Laissez-les mijoter une nuit et transvasez directement sur Goroka le lendemain. Réserver à Kundiawa, dans les Highlands.

- Le lendemain (le 13 donc), secouez le tout très fort pendant trois heures (astuce : la piste qui part de Kundiawa vers Kegsugl est le Shaker idéal) et espérez ne rien perdre en route.

- Laisser reposer au Betty’s Lodge pour acclimatation et enfourner à 3700m pendant trois jours pour les premières collectes de spécimens.

Ceux qui ne lisent pas régulièrement des livres de recettes devraient s’y mettre, c’est très reposant. Ceux qui participent à l’expédition doivent en revanche absolument l’éviter (je sais ce qu’il y a dans les paquets de 15 Kg). Et comme, soi-disant, je ne déteste pas me plaindre (foutue journaliste, j’aimerai bien la voir au fourneau), allons-y gaiement, vous allez être servi.

A table !

Olivier Pascal, Chief CooK