Avec eux, Igor Muratov, éminent spécialiste des mollusques terrestres. Grand voyageur toujours en quête d’un nouvel escargot, ce Russe travaille au Natal Muséum de Pietermaritzburg, en Afrique du Sud. Igor est un marcheur, il aime à parcourir ses 30 km quotidiens. Cette nuit, il s’enfonce dans la forêt, toutes lampes éteintes. « La lumière des étoiles me suffit ». À plus tard, Igor.
Voici enfin Annemarie Ohler, professeur et responsable scientifique des collections de vertébrés au MNHN, la plus française des herpétologistes autrichiennes. Experte en amphibiens, elle nous initie à la pêche à la grenouille. « L’important, c’est de se tenir à distance des hippopotames ». De sources concordantes, l’hippo est en effet l’animal le plus con du continent africain (hormis la poule, mais c’est un autre sujet). Il faut être prudent, car la nuit est le domaine des animaux. Sous la lune, la nature revêt une panoplie différente. Mais pas moins fascinante.
Nos pas s’enfoncent dans la boue des petites mares. Les batraciens pullulent.

Une cassine tachetée (Kassina maculata) d’environ 70 mm. Cette espèce a été découverte au Mozambique. Crédit photo : Annemarie Ohler
Armée de ses bottes en caoutchouc, de sa frontale et de sa bonne humeur, Annemarie fait un malheur. À la main, avec une dextérité redoutable, elle collecte une trentaine d’individus de huit espèces différentes en deux petites heures. « C’est une bonne sortie, la pluie a réveillé les grenouilles terrestres qui se cachaient jusque-là. Ensuite, on recoupera ça avec les données déjà disponibles pour affiner les connaissances ».

Annemarie Ohler range ses grenouilles
Une fois la mission accomplie, nous éteignons nos lampes. Nos photons artificiels ne polluent plus l’instant. Sur l’autre rive, des centaines de lucioles nous offrent un spectacle clignotant et synchronisé par la grâce d’une mystérieuse communication chimique. Irréel. Pendant une demi-heure, une scientifique, un guide et un journaliste se tiennent immobiles, debout face au chef d’œuvre. Sans échanger un mot, qui de toute évidence serait superflu. Au loin, les hippos grognent, avec une profondeur et une puissance inouïes. Une hyène hurle, une autre lui répond. Ce n’est pas le rire sardonique pour lequel elles sont connues. Ce sont de longues plaintes mélancoliques qui vous déchirent une âme en moins de deux. Les grenouilles jacassent, par milliers. Elles forment le chœur du lac ; chacune joue sa partition. C’est un murmure, un vacarme, un opéra. C’est la nuit au fond du bush. Fermez les yeux. Écoutez.