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mercredi, novembre 25 2009

Concert de grenouilles

Ce soir-là, collecte nocturne au bord du lac Nhica. Dans l’équipe, des naturalistes d’horizons différents. Nous avons deux entomologistes du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Claire Villemant, qui se tient au piège lumineux attirant les papillons. Et Tony Robillard, qui traque un Phalangopsidae (un grillon) qui le nargue depuis quelques jours.

Avec eux, Igor Muratov, éminent spécialiste des mollusques terrestres. Grand voyageur toujours en quête d’un nouvel escargot, ce Russe travaille au Natal Muséum de Pietermaritzburg, en Afrique du Sud. Igor est un marcheur, il aime à parcourir ses 30 km quotidiens. Cette nuit, il s’enfonce dans la forêt, toutes lampes éteintes. « La lumière des étoiles me suffit ». À plus tard, Igor.

Voici enfin Annemarie Ohler, professeur et responsable scientifique des collections de vertébrés au MNHN, la plus française des herpétologistes autrichiennes. Experte en amphibiens, elle nous initie à la pêche à la grenouille. « L’important, c’est de se tenir à distance des hippopotames ». De sources concordantes, l’hippo est en effet l’animal le plus con du continent africain (hormis la poule, mais c’est un autre sujet). Il faut être prudent, car la nuit est le domaine des animaux. Sous la lune, la nature revêt une panoplie différente. Mais pas moins fascinante.

Nos pas s’enfoncent dans la boue des petites mares. Les batraciens pullulent.

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Une cassine tachetée (Kassina maculata) d’environ 70 mm. Cette espèce a été découverte au Mozambique. Crédit photo : Annemarie Ohler


Armée de ses bottes en caoutchouc, de sa frontale et de sa bonne humeur, Annemarie fait un malheur. À la main, avec une dextérité redoutable, elle collecte une trentaine d’individus de huit espèces différentes en deux petites heures. « C’est une bonne sortie, la pluie a réveillé les grenouilles terrestres qui se cachaient jusque-là. Ensuite, on recoupera ça avec les données déjà disponibles pour affiner les connaissances ».

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Annemarie Ohler range ses grenouilles


Une fois la mission accomplie, nous éteignons nos lampes. Nos photons artificiels ne polluent plus l’instant. Sur l’autre rive, des centaines de lucioles nous offrent un spectacle clignotant et synchronisé par la grâce d’une mystérieuse communication chimique. Irréel. Pendant une demi-heure, une scientifique, un guide et un journaliste se tiennent immobiles, debout face au chef d’œuvre. Sans échanger un mot, qui de toute évidence serait superflu. Au loin, les hippos grognent, avec une profondeur et une puissance inouïes. Une hyène hurle, une autre lui répond. Ce n’est pas le rire sardonique pour lequel elles sont connues. Ce sont de longues plaintes mélancoliques qui vous déchirent une âme en moins de deux. Les grenouilles jacassent, par milliers. Elles forment le chœur du lac ; chacune joue sa partition. C’est un murmure, un vacarme, un opéra. C’est la nuit au fond du bush. Fermez les yeux. Écoutez.


dimanche, novembre 22 2009

Une nuit chez les termites

Le long des routes du Mozambique, on croise d’étranges formations de terre qui ne sont pas construites par les humains. Ce sont des termitières. Elles peuvent atteindre 6 mètres de hauteur.

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Grosse butte de Macrotermes. Des centaines de milliers d’individus habitent là-dedans.


Nous avons ici un fin connaisseur de ces étonnantes créatures. Maurice Leponce est chercheur à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique. Spécialiste des fourmis et des termites des forêts tropicales d’Amérique du sud, c’est la première fois qu’il étudie une forêt sèche africaine. Nous l’avons suivi dans une de ses excursions nocturnes.
Après avoir repéré une termitière, cet homme pondéré à la diction apaisante se saisit d’une hache (dotée d’un ruban rose, pour ne pas l’égarer). Il abat délicatement un petit pan de l’édifice pour en ausculter l’intérieur. Sitôt après avoir vécu ce qui doit être un Pearl Harbor à leur échelle, les termites subissent des flashes photos qui sont autant d’Hiroshima. « Non, ils sont aveugles », précise Maurice. Le termite n’est pas geignard. Dans la seconde suivant la catastrophe, il se remet au travail. Il faut dire que 80% des individus sont des ouvriers. Le reste de la colonie est constitué de soldats, de nymphes reproducteurs et d’un couple royal. S’il n’est pas geignard, le termite semble rancunier. Un kamikaze passe à l’attaque en mordant la reporter du Figaro imprudemment assise sur le monticule. Un termite ouvrier, probablement.

Maurice Leponce collecte les informations et les images qui lui permettront de comparer ces termites avec leurs congénères sud-américains. Une heure plus tard, les insectes ont déjà reconstruit sous nos yeux plusieurs centimètres de leurs quartiers. Respect.


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Termites en plein effort de reconstruction. Crédit : Maurice Leponce / IRSNB.

dimanche, novembre 8 2009

« Welcome to the bush »

Après notre nuit à Pemba, nous entassons nos affaires dans deux gros Toyota tout terrain pour prendre la route à l’aube. Destination : le campement installé à l’extrême nord du pays.

Les villages se succèdent, le goudron cède place à la piste. Les images du Mozambique rural défilent. Des femmes qui portent des bassines sur leur tête et des enfants dans leur dos. Des hommes qui bricolent, réparent, construisent. Des gamins pieds nus qui nous font coucou. D’autres gamins qui cassent des cailloux au bord de la route, parce que c’est leur métier.

Quelques stops pour faire le plein d’essence, de fruits et légumes sur les marchés, ou de bois (2$ le gros tas de bambous qui représente une journée de travail pour le vendeur).

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Des tomates qui donnent le sourire.


Le trafic n’est pas très élevé, des chèvres dorment au milieu de la route. Nous prenons tout de même une amende pour excès de vitesse, à 64 mph.
Nous sommes conduits par Mike Scott. Guide de profession, il a quitté son pays, le Zimbabwe, suite à l’écroulement de l’économie nationale. Il vit désormais entre la Suisse, où il est bûcheron, et l’Afrique australe où il organise des safaris et des expéditions.

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Mike Scott, chef de camp. Sans lui, nous ne mangerions pas.


Ne pas croire qu’une mission comme la nôtre nécessite des mois de préparation. Cela nécessite plutôt des années. Depuis début 2008, Mike enchaîne réunions en Europe, prises de contacts avec la population et l’administration locales, transport de matériel, constitution de l’équipe d’intendance (soit une douzaine de chauffeurs, guides, cuisiniers).
Malgré quelques avaries (un accident de voiture et une semaine d’attente à la douane avec une cargaison de deux tonnes de tente, entre autres), le campement a pris forme. Après 10 heures de ce qu’on peut difficilement appeler une route, nous arrivons sur le site, au cœur du bush. Une carte satellite nous apprend que l’endroit se nomme Quidolalo. Coordonnées : S 10° 45’ 24.0’’ E 040° 13’ 03.5’’.

Face à une prairie et collés à la forêt, trois générateurs, des congélateurs, quelques tentes, des sanitaires assez différents de ceux du Ritz et une flotte de 9 véhicules constituent ce qui sera notre maison pendant un mois.


La nuit tombe à la vitesse d’un guépard à la poursuite d’une antilope, nous avalons une tambouille en faisant connaissance avec l’équipe déjà sur place, un serpent passe entre les tables et nous allons nous écrouler, épuisés mais ravis, sous nos moustiquaires imprégnées.
Le chant de la forêt s’harmonise avec celui des étoiles, l’instant est magique. La symphonie est à peine troublée par les ronflements d’un entomologiste.
« Welcome to the bush ».

samedi, novembre 7 2009

Paris-Pemba


Pour nous, ça commence maintenant. Une partie de l’équipe est déjà sur place au Mozambique depuis quelques jours. D’autres arriveront plus tard. Aujourd’hui, nous sommes cinq au départ de Roissy : trois entomologistes, un grimpeur et votre serviteur.
Pour nous rendre dans l’hémisphère sud, nous prenons un vol pour Londres. D’Heathrow, nous embarquons pour Johannesburg. 11 heures plus tard, nous arrivons dans le plus grand aéroport d’Afrique, ultramoderne et prêt pour la coupe du monde de foot 2010. Nous y avons un premier aperçu de la faune africaine, sur le mode folklorique

Zèbre mort

 Peau de zèbre, Jo’burg airport, 7.26 AM.


Dans l’attente du prochain avion, les entomologistes parlent de leurs recherches, dans une langue ésotérique pour le commun des mortels. Point commun entre ces chasseurs d’insectes : ils sont tous tombés dans l’entomo enfants et ont fait de leur passion leur métier.
Le vol Jo’burg-Pemba nous fait survoler une grande partie de notre pays de destination. Le paysage est brûlé, c’est la fin de la saison sèche. Vu du ciel, le Mozambique est une longue terre aride parfois striée de fleuves tentaculaires, comme le Zambèze, et de reliefs inattendus, tels ces monts tabulaires surgissant de la plaine sans prévenir.

Le Mozambique vu du ciel

Le Mozambique vu du ciel.


Sur le tarmac de l’aéroport de Pemba, la chaleur écrase les passagers venus de l’automne européen et assommés par 30 h de voyage. Quelques bagages manquent à l’appel, c’était quasiment prévu. Personne ne s’inquiète, ils arriveront (probablement) dans la semaine.
Nous sommes accueillis par Roland Fourcaud, le logisticien de l’expé. L’homme a baroudé plus qu’à son tour (organisation de raids, urgence humanitaire…), nous sommes entre de bonnes mains. Nous avons un bout d’après-midi devant nous. Certains se mettent déjà au travail.

Olivier Montreuil

Olivier Montreuil, entomologiste en quête de scarabées moins d’une heure après être descendu de l’avion.



D’autres en profitent pour découvrir Pemba. C’est une ville de 200 000 habitants, aux routes de poussière et aux constructions précaires. Une ville pauvre mais en croissance, à l’image du pays. Pemba vit du bois, de l’agriculture, de la pêche, de la chasse. Deux compagnies de prospection pétrolière génèrent un peu d’emploi. Une industrie touristique voit le jour, en dépit du manque d’infrastructures. Un tour à la plage nous permet de faire très rapidement connaissance avec les vendeurs d’artisanat locaux. Nous évoluons déjà dans un monde éminemment différent de celui que nous avons quitté la veille, quand nous changions à Châtelet. Nous ne sommes pourtant pas encore arrivés, loin de là.
Programme pour demain : lever à 5 h avant d’avaler 8 heures de route et de piste pour atteindre le campement installé dans le bush près du village de Nhica de Rovuma, à la frontière tanzanienne. Là, nous serons vraiment « into the wild ». Châtelet nous paraîtra irréel et probablement absurde. Place ensuite au travail de collecte pour les chercheurs. Les emplois du temps sont serrés et seront sûrement modifiés, car on ne planifie pas l’Afrique. L’imprévisible guette, ce qui est mauvais pour la science et bon pour l’aventure. Une chose est sûre : la semaine prochaine, nous recevrons, au cœur de la forêt, la visite d’un chef d’état.